Le souffle de l'hélice.

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Message Dim 1 Avr 2018 - 15:14


                                               LE SOUFFLE DE L’HELICE

                                                     par [Aldebaran]

 

                                                  PROLOGUE

 

            Aryabhatta, songeur,  n’entend  pas le doux clapotis du Gange. Il s’interroge: A-t-il été un si piètre pédagogue ou bien ses interlocuteurs ne veulent-ils pas comprendre? Pourtant, sa théorie d’une Terre sphérique tournant autour du Soleil,  la Lune elle-même gravitant autour de la Terre, explique parfaitement le phénomène des éclipses. Concentré, c’est tout juste s’il aperçoit une brève lueur dans le firmament constellé d’étoiles. Tiens! se dit-il un vimana. Un bruit de chute détourne ses pensées. Là, tout proche, un objet rebondit, roule et s’immobilise. Aryabhatta se penche, saisit un cylindre long comme la main, d’un diamètre  sensiblement égal à celui du poignet. Des signes sont gravés sur la surface. Encore un rouleau de moulin à prière des Tibétains! s’écrie-t-il. Il place le rouleau dans son baluchon et poursuit son chemin, repris par ses pensées. Il décide, que dès son retour à Pataliputra, il  rédigera un texte développant ses arguments en faveur d’une Terre gravitant autour du Soleil.  Dans sa tête, il met en place le plan de son futur pustaka. Son attention est attirée par un vieux muni à la démarche claudicante et déjà il se demande ce qu’il va lui offrir. Ce sage doit lire l’écriture tibétaine, aussi lui offre-t-il ce providentiel rouleau tombé du ciel et reprend le chemin du retour.
            L’ermite est bien dépité à la vue de ce rouleau dont il ne comprend pas un traître mot. Manifestement, cette écriture n’est pas de l’écriture tibétaine, bien qu’elle lui ressemble à première vue. Peut-être un de ses amis lamas pourra-t-il y trouver un quelconque intérêt.
            Des années ont passé. Che-rin-dhan-rgyal se penche une fois de plus sur ce mystérieux rouleau trouvé par Aryabhatta. L’énigme reste entière. Aucun sens ne se dégage de ces curieux caractères. Renonçant, il décide de le remettre à la grande lamaserie de Lhassa.
            Plusieurs siècles plus tard. Octobre 1950. Les hordes chinoises envahissent le Tibet. Elles pillent les monastères, détruisent les précieux tantras, s’exercent au tir sur les moulins à prière. Un rouleau se distingue des autres: il semble neuf et fera une excellente cible. On le place sur un rocher surplombant un torrent. Une balle bien ajustée l’y précipite. Ce torrent se jette dans le Lancang Jiang et le rouleau commence un très long voyage, roulé par les eaux tumultueuses de ce fleuve mieux connu sous le nom de Mékong.
 

            Juillet 1992. Monireth joue avec les bambins de son âge au bord du fleuve, à Phnom Penh. Soudain, un objet brillant attire son attention. Vite, il l’extrait de la vase, le nettoie et son regard émerveillé contemple un superbe rouleau brillant au soleil de midi. Le rouleau passe de main en main, et finalement échoue dans une de ces échoppes de brocanteurs faisant le bonheur de touristes avides d’exotisme.
 

                                               AVANT-PROPOS
 

            Janvier 1994. Un ami revenant de Phnom Penh après un petit détour à Angkor Vat me montre son acquisition: un rouleau paraissant neuf, brillant, dont la surface est recouverte de ce qui paraît être une écriture. Voyant mon intérêt pour cet objet, il m’en fait cadeau.
            Après avoir tenté d’identifier l’écriture utilisée, force me fut de constater qu’il ne s’agissait d’aucune écriture connue. Me piquant au jeu, je me promis de traduire ce texte mystérieux. Cela tombait bien, car un jour, il y a bien longtemps, j’avais décidé (devant témoins) qu’à la retraite, je m’attaquerais à la traduction du disque de Phaestos. J’avais donc désormais un bon motif pour choisir une autre écriture...
            Je m’aperçus bientôt que le texte ne se limitait pas à la surface du cylindre, mais qu’en fait il était possible de le dérouler à la manière d’un film photographique. J’obtins ainsi une bande pelliculaire longue d’une vingtaine de mètres approximativement. Trouver le début du message ne fut pas très compliqué, aussi m’attelai-je à la tâche sans plus tarder.
Tout d’abord, je recensai  le nombre de signes différents. J’en trouvai 19, ce qui m’apparut très prometteur.
Puis, le clavier de l’ordinateur tel qu’il est ne convenant  évidemment pas aux signes du rouleau tels qu’ils sont (merci, Jacques Perret), j’en assurai la codification. Ce fut bien sûr une tâche facile.
            Je ne m’étendrai pas sur les énormes difficultés rencontrées lors de la traduction. M’aidant au début de la combinatoire, de l’intuition, et de quelques autres idées et outils linguistiques sur la nature desquels je ne m’étendrai pas, je parvins enfin à déchiffrer ce texte incroyable et pourtant ô combien véridique.
 C’est cette traduction que je vous livre dans les pages suivantes.
  

 

                                               LA  FIN  DES  X’UHKK(1)
 

                                                      par  Gn’ulz
 

                               Traduit du tritonnien par [Aldebaran]t
 

            Je sais qu’il est très peu probable qu’apparaisse sur cette planète, aujourd’hui ou dans les siècles à venir, un être suffisamment intelligent pour traduire ce texte (2)  mais je ne peux résister à la tentation de décrire la fin de mon peuple, la fin des X’UHKK.
Nous vivions sur le plus gros satellite de la huitième planète de ce système. A quoi bon en donner les noms, les indigènes de la troisième planète, de civilisation primitive, ignorent totalement l’existence de ces mondes. Nous sommes de forme parfaitement sphérique mais nous avons la possibilité de créer à volonté des excroissances spécialisées lorsque nous souhaitons saisir, voir entendre, sentir..., excroissances que nous pouvons résorber quand bon nous semble.  Nous sommes insensibles aux changements de température. Heureusement, car nous nourrissant de lichens poussant à proximité de geysers, nous subissons d’importantes variations de température de plusieurs unités Vr’yw (3).   
Notre science avança rapidement et nous pûmes gagner l’espace proche. Nos savants désirèrent plus: visiter les autres planètes. Nous commençâmes évidemment par la plus accessible: La planète OO’GX, ou, plus précisément, la neuvième et dernière. Puis, nous enhardissant,  nous nous risquâmes vers les planètes « intérieures » sans que l’une d’elles nous intéressât plus que les autres. Ce n’est que parvenus jusqu’à la troisième planète (KR’ZY) que nous comprîmes que nous n’étions pas seuls dans ce système. En effet, un début de civilisation commençait à se manifester, bien que son niveau scientifique pût être considéré comme nul. Nous explorâmes plusieurs contrées pendant quelques KLOXW(4) et nos vaisseaux ne manquèrent pas d’intriguer l’espèce pensante, curieusement bipède. A notre corps défendant, nous influencèrent fortement certaines cultures locales, principalement dans les régions avoisinant la plus haute chaîne de montagnes de ce globe.
            Nous fûmes très surpris face à une curieuse activité des indigènes. Ils se groupaient en deux camps opposés, puis se ruaient les uns sur les autres en s’agitant, certains d’ailleurs ne s’agitant plus du tout(5). Nous allâmes aussi en d’autres contrées où, avec des variantes, nous assistâmes au même spectacle, ce qui  nous  amena à penser qu’une même civilisation s’était répandue sur la planète entière.
 

(1)   J’ai représenté par l’apostrophe ce qui semble correspondre à l’avagraha sanskrit. (NDT)
(2)   Hum... (NDT)
(3)   Rien ne permet de fixer la valeur de cette unité. (NDT)
(4)   Il ne fut pas possible d’estimer la durée évoquée par ce terme. (NDT)
(5)   Il semblerait que nos visiteurs aient assisté à la bataille des Pandava contre les Kaurava (Mahabhârata)  (NDT)
 
            Avant que d’évoquer un souvenir d’un de nos lointains ancêtres, je dois préciser un point de détail concernant notre physiologie. J’ai déjà mentionné le fait que nous nous nourrissons exclusivement de lichens. Ce que nous ne fixons pas dans notre organisme se sublime au terme d’un certain temps et s’échappe en émettant un son pur de 204 vibrations par Fg’ryt(6) . Ce phénomène, relativement rare, se produisit alors que notre ancêtre se trouvait à proximité d’un indigène. Ce dernier adopta une attitude extatique et se mit alors fébrilement à écrire(7).
            Après quelques KLOXW(8) d’exploration de la troisième planète, nous cessâmes les expéditions et consacrâmes tout notre temps et notre énergie à développer notre société.
Nous menions une existence paisible dans un cadre que nous avions su rendre confortable voire même douillet. La vue splendide que nous offrait en permanence la planète(9) autour de laquelle notre monde orbitait avait naturellement provoqué un certain sens artistique. Des coupoles transparentes aménagées dans notre habitat nous permettaient d’admirer la voûte céleste, nous incitant à de profondes réflexions philosophiques.
            Bref, nous menions une existence heureuse, sans souci. Les sciences allaient bon train, nos artistes créaient des merveilles et chacun se faisait un devoir d’apporter un maximum de soin à ses tâches.
            Hélas, les signes précurseurs d’un désastre se manifestèrent par un ralentissement du débit de quelques geysers. J’ai déjà expliqué que nous devions à leur existence notre lichen nourricier, et la disparition de ces geysers entraînerait immanquablement notre perte.
            Après 24(10) KLOXW , seul un geyser sur deux subsistait, ce qui nous obligea à un contrôle sévère de la nourriture. Puis, la situation s’aggravant, nous prîmes deux décisions importantes: Limitation des naissances et retour dans l’espace afin de rechercher une éventuelle source d’approvisionnement. Bien sûr, nous commençâmes par les autres satellites de notre planète centrale, mais leurs tailles ne se prêtaient pas à une quelconque activité du sous-sol. Notre quête dura plusieurs KLOXW, sans succès. Nous commencions à désespérer lorsque nous retrouvâmes dans les archives de nos précédentes explorations de la troisième planète un document signalant que sur ses plus hautes montagnes  poussait une variété de lichen rigoureusement identique à la nôtre.
             L’espoir revint.
            Une nouvelle mission fut rapidement préparée et partit pour cette planète salvatrice. Un volontaire devait absorber sur place cette variété de lichen avec retour immédiat dans nos laboratoires afin de parer à toute éventualité. Retrouver ces lichens fut particulièrement aisé, HG’LOX absorba quelques pousses, puis la mission revint avec quelques échantillons. Les résultats furent concluants.
(6)                Par recoupement, il doit s’agir du la3 (NDE)
(7)                Il doit s’agir de  Pythagore.  (la musique des sphères ?)  (NDE)
(8)               Rien ne permet d’indiquer la valeur de cette unité de temps.  (NDT)
 (9)              Neptune. (NDT)
(10)             Les X’UHKK utilisant 18 symboles distincts pour représenter les chiffres, j’ai fait l’hypothèse que leur système de   numération  était à base 18. Que le lecteur se rassure, j’ai effectué les calculs (exacts ?) pour le changement de base. (NDT)
 

            Commença alors un long débat: La troisième planète est habitée par une multitude d’espèces dont une  semble être dotée d’intelligence. Que faire? S’installer dans la contrée choisie pour ses réserves de nourritures quoi qu’en puissent penser les autochtones; prendre contact avec eux afin d’obtenir leur accord; ou bien, tout simplement s’en débarrasser sans autre forme de procès? Chaque hypothèse fut minutieusement étudiée. La logique des X’UHKK étant ce qu’elle est, nous arrivâmes à considérer comme équivalentes la première et la troisième hypothèse. Les partisans de la deuxième durent reconnaître que le temps nous étant compté, peut-être était-il indispensable d’opter sans plus tarder pour la troisième. Pourtant, il fut accepté une certaine coexistence pendant un certain laps de temps, juste ce qu’il fallait pour étudier les moyens les plus sûrs et les plus expéditifs nous rendant maîtres de cette planète.
            Dès lors, les préparatifs de l’exode s’intensifièrent. On constitua des stocks de nos chers lichens, sachant que ce faisant nous nous condamnions à un exil définitif, car le lichen ne repousse jamais là où tout à été cueilli. Des vaisseaux spécialement conçus pour transporter nos principales oeuvres d’art furent construits en un temps record. On abandonna l’idée d’établir préalablement une tête de pont. L’exode serait massif, total. Mais il faut préciser que l’effort ne fut pas aussi gigantesque qu’on le pourrait croire  a priori.  En effet, d’une part nous ne sommes que de bien petits corps sphériques (un indigène de notre future planète est facilement sept à huit fois plus haut que nous), et d’autre part notre population ne compte pas plus que quelques dizaines de milliers d’individus. Néanmoins, nous fûmes bien conscients que l’arrivée de nos 350 vaisseaux ne passerait pas inaperçue.
            Effectivement, nous fûmes remarqués. Les différentes espèces non-pensantes se dispersèrent dans toutes les directions. Quant aux êtres « intelligents », ils prirent une position plutôt bizarre: Ils s’étendirent sur le sol et ne bougèrent plus pendant plusieurs périodes de nuit et de jour. Nous en profitâmes pour nous installer, c’est-à-dire pour monter les structures d’habitations que nous avions construites avant le départ. Bien sûr, pendant ces travaux, nous vivions sur nos réserves de lichen. Nous envisagions notre avenir avec un certain optimisme malgré un léger inconvénient dû à la plus forte gravité de cette planète: petit à petit nous abandonnions notre belle forme sphérique et devenions plutôt aplatis. Nul doute qu’il nous faudrait définir de nouveaux canons de la beauté!
            Puis notre lichen commença à s’ épuiser. Des équipes se formèrent pour aller cueillir les lichens locaux que nous trouvâmes délicieux. Bientôt, il ne resta rien de notre approvisionnement d’origine.
            C’est alors que se révéla le grand désastre. Oh, ces lichens n’étaient pas toxiques, ils étaient parfaitement comestibles, mais nous étions sans cesse affamés. De plus, nous dépérissions rapidement. Et la terrible nouvelle nous fut annoncée par nos scientifiques: les ‘’ molécules de vie ‘’  constituant tout ce qui vit sur cette planète s’enroulent à l’inverse du sens des nôtres ! 
            Voilà, je suis seul. J’ai renvoyé dans l’espace la totalité de nos vaisseaux sauf celui à bord duquel je quitte cette planète. J’ai rédigé ce texte dans l’espoir qu’il sera traduit un jour. J’ouvre une trappe, et le laisse choir à proximité d’un indigène espérant qu’il s’en saisira. Moi, je regagne ma patrie désormais déserte pour y mourir en paix.
                                                                                   Fin du texte de Gn’ulz
Références:
 

                    Vyâsa: Le Mahâbhârata. époque védique.
                        Aryabhata: Aryabhatiyam. (476)
 

 

 

Postface
 

Je ne jurerais pas n’avoir commis aucune faute de traduction. Peut-être même un authentique linguiste arriverait-il à une traduction totalement différente. Il n’est pas exclus non plus qu’un beau (?) jour quelqu’un démontre qu’il ne s’agit pas d’un texte, mais tout simplement d’un ornement inédit. J’espère qu’alors cette personne n’ira pas claironner sa découverte sur les toits.
 

 

                                                                                   le 18 septembre 1995
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Message Lun 2 Avr 2018 - 9:26


Pas mal aussi celle-ci. Super L'histoire sans fin.

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Message Lun 2 Avr 2018 - 10:32


Wakka a écrit:Pas mal aussi celle-ci. Super  L'histoire sans fin.

Merci de m'avoir pardonné quelques anachronismes. Prendre prétexte d'une "licence poétique" serait quand même un peu osé !
Amicalement.
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Message Lun 2 Avr 2018 - 10:49


Une Histoire ou un Conte à méditer ! Super
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