montmein69 a écrit:Comme d'habitude dans ce genre de discussions, les avis sont différents, on a un panel d'avis allant des "fans de l'astre sélène", à ceux pour qui le credo c'est "Mars tout de suite" . C'est normal, un forum est fait pour confronter les avis *. Le seul souci c'est d"éviter les caricatures et de soupeser les arguments utilisés (les siens et ceux des forumeurs qui pensent différemment). Evitons de Trumpiser le débat ... même si ce Fil a commencé du mauvais pied avec un titre plutôt clivant
Je suis assez d’accord avec cette remarque de Montmein69 sur la nécessité de ne pas avoir une approche unidimensionnelle du problème.
Dans tous les domaines, la vie nous confronte à des situations compliquées et il est rare qu’un décideur politique ou en entreprise soit pleinement satisfait des décisions qu’il prend, même s’il jure ensuite le contraire. L’astronautique n’échappe pas à la règle.
Sur ce Forum, je n’ai pas caché que je suis un partisan ardent du New Space, ce qui devient banal, mais aussi un comptenteur particulièrement sévère du Old Space, ce qui est moins fréquent. Je pense en effet que les entreprises du Old Space se sont installées dans un système toxique qui fonctionne pour lui-même, et qui a perdu de vue l’esprit d’exploration.
Et en effet, le SLS, tout en étant dans le principe un beau projet, est plombé par ce système toxique du Old Space. La façon dont ce programme est exécuté est accablante. On peut même parler de caricature du Old Space.
Pourtant, à la réflexion, je pense qu’une décision politique qui arrêterait ce programme SLS maintenant serait dangereuse. Ne voyez pas là de ma part une expression d’un goût pervers pour les paradoxes.
Ce n’est pas parce qu’une personne a un cancer sur le tibia qu’il faut l’amputer de la cuisse en partant de la hanche.
Le très bon post de Petite Crevette ci-dessus présente un état des lieux qui permet de comprendre que la politique ne peut pas être réduite à la comptabilité, qu’elle n’est que rarement une affaire de vases communicants, car elle se déploie sur des territoires et car elle est contrainte par des phénomènes d’interdépendance.
Abandonner le programme SLS ne permettrait pas dans les faits de transférer toutes les ressources correspondantes au New Space, car ce serait provoquer un cataclysme qui déstabiliserait la NASA, qui écœurerait l’opinion et qui finalement affaiblirait l’esprit d’exploration. Avec, à l’arrivée, une mise en danger du New Space lui-même. Space X est une entreprise formidable, mais elle ne peut avancer que dans un partenariat avec la NASA sur une partie substantielle de ses programmes. La privatisation intégrale de l’espace est une idée qui ne pourra pas marcher.
Il ne faut pas confondre décision absurde et situation absurde. Oui, le fait que l’argent du contribuable américain soit orienté prioritairement vers un projet reposant sur des technologies du non récupérable, vieillies et sans avenir, mises en œuvre par des entreprises sans âme qui songent avant tout à « se gaver », est une situation absurde comme il y en a hélas dans beaucoup de domaines. Mais c’est un fruit de l’histoire et l’on ne construit pas une politique contre des faits. Dans une telle situation, comme l’ont théorisé en France des hommes politiques comme Pierre Mendès-France et Michel Rocard, on essaye d’utiliser le temps long pour changer progressivement la donne.
C’est du populisme que de croire que parce que les choses vont mal, il serait légitime de donner un grand coup de pied dans la fourmilière. Le vrai volontarisme épris d’intérêt général se traduit par des choix responsables, par des démarches obstinées et persévérantes pour revenir, au rythme que permet la vraie vie, à une situation plus saine. Il faut avoir un cap de long terme, accepter les détours quand on ne peut pas faire autrement, puis faire prévaloir sa vision de long terme en suscitant à un moment donné les opportunités qui le permettent.
Mais bon, je sais bien que beaucoup d’êtres humains, quand ils ont commencé à comprendre une partie de la réalité, sans avoir vu également d’autres aspects qui compliquent cette réalité, partent bille en tête dans le « y a qu’à ... faut qu’on... ». Et je vous fais un aveu : je me suis moi-même lourdement trompé à certaines époques. Qui peut prétendre, même lorsqu’il est âgé, être à l’abri d’une erreur, d’un jugement à l’emporte-pièce ou trop extrapolé ? Et de surcroît, les contraintes matérielles de l’expression sur internet, sur Twitter voire sur ce Forum, nous incitent à une concision et des simplifications qui mettent en péril la pensée complexe, posée, sereine.
Concrètement, les Américains vont devoir boire la coupe du SLS presque jusqu’à la lie. Bien entendu, il faudra en sortir en biseau. Le LOP-G est un intéressant projet, c’est une opportunité, à condition évidemment d’y associer Blue Origin et SpaceX et d’en profiter pour modifier les modes de partenariat avec les entreprises du Old Space. Oui, plusieurs SLS seront lancés. Et puis, quand arriveront le BFR et le New Armstrong, il deviendra possible d'envisager de mettre le SLS à la retraite un peu anticipée. Et à ce moment-là, il faudra faire un lobbying d’enfer pour le projet martien. Mais pour le moment, en 2018, il ne faut pas lâcher la proie pour l’ombre. Il ne faut pas ralentir la bicyclette, car on connaît bien le principe, quand elle n’avance plus, elle tombe. Il faut rester insatisfait et lucide, mais aussi accepter d’être patient.