@Argyre et @Arès F, il me semble que votre désaccord n’est pas si profond que cela. J’ai pour ma part l’impression que vos deux points de vue sont complémentaires et qu’ils conduisent à être précis sur un certain nombre de termes pour éviter les confusions.
Comme @Arès F., je salue comme très pertinente l’étude statistique engagée par @David.L. Le titre du fil doit être pris à la lettre, « espérance de vie des personnes étant allées dans l’espace ». C’est simple, il y a une catégorie de gens, les gens qui sont allés dans l’espace (et indéniablement, ces gens ont une expérience si spécifique, si différente des autres qu’ils forment un groupe, à leurs propres yeux et aux yeux d’autrui - même si parmi eux, il y a quelques distinctions internes, entre civils et militaires, entre scientifiques et pilotes, entre professionnels de l’espace et touristes, entre ceux qui ont volé une seule fois et ceux qui ont pu revoler, etc. - mais ces distinctions sont secondaires et ne remettent pas en question le principe d'un travail statistique sur l'ensemble du groupe). Chose rare, pour des raisons liées aux barrières techniques à l’accès à l’espace, cette liste est mondialement connue, sans aucun débat sur sa composition. Une fois ainsi bien délimitée cette catégorie, on regarde objectivement son espérance de vie. Il n’y a rien à redire à cela sur le plan scientifique. C'est la même chose que lorsqu'on regarde l'espérance de vie des instituteurs, des cadres supérieurs ou des manœuvres, sauf qu'au cas présent, on considère une population beaucoup plus réduite, et apparue à une époque relativement récente au regard de la durée totale de la vie humaine.
Mais attention !! Le cerveau humain a parfois des modes de lecture impressionnistes, et il ne faut surtout pas comprendre que l’étude porte directement sur l’impact du vol spatial sur l’espérance de vie humaine. Ce que dit @Argyre est donc également juste à mon avis. Mais c'est vrai qu'il ne faut pas se tromper dans la compréhension du sujet ainsi libellé : "espérance de vie des personnes étant allées dans l'espace", car ces mots peuvent miroiter pour un étourdi (cela rappelle les erreurs de lecture des sujets du baccalauréat, qui peuvent conduire un malheureux candidat à se retrouver avec un 4/20 !)
Car les facteurs qui font que l'espérance de vie de ce groupe des personnes qui ont volé dans l'espace peut différer de celle du commun des mortels sont multiples, et jouent tantôt dans le sens d’un accroissement de l’espérance de vie, tantôt dans celle de sa réduction, ou parfois sont ambivalents :
- bien entendu @Argyre a raison d’écrire que ces gens sont recrutés sur des critères de bonne santé (physique et en principe psychique) qui les prédisposent plutôt à vivre jusqu’à un âge avancé ;
- l’entraînement des astronautes est ambivalent ; le sport est bon pour la santé, mais la préparation au stress du vol spatial peut être en elle-même néfaste pour la santé (centrifugeuse, parcours de survie dans l’eau et par grand froid, parachutages, etc...) ;
- la gloire est par moment bonne pour la santé (estime de soi) mais peut aussi être déstabilisante, d’autant que la compétition entre astronautes pour revoler doit être féroce, et que tout le monde ne gagne pas ; la reconversion dans un autre métier ensuite peut être rude, même si ce métier est prestigieux (ministre...) ;
- autre aspect, plutôt positif : l’astronaute est habitué à faire suivre sa santé, il n’aurait pas choisi ce métier s’il avait peur des prises de sang ; et la prévention, en principe, contribue à l’espérance de vie ;
- last but not least, le vol spatial lui-même ; mais ce sujet-là ne peut être traité qu’au cas par cas ; car le type de stress que subit l’astronaute n’est pas le même selon qu’il est sorti ou non de l’écran protecteur que constitue la magnétosphère terrestre, qu’il a fait un vol long ou court, qu’il a séjourné dans une grande station relativement confortable ou dans un petit laboratoire ou vaisseau mal équipé, selon qu’il est redescendu dans une capsule ou un engin ailé...
J’insiste sur le fait que pour les sciences sociales, chacun des facteurs correspondant aux quatre premiers tirets et aussi important que le 5ème...
Quant au 5ème, on ne dispose d'échantillons vraiment significatifs que dans deux cas : celui des cosmonautes et astronautes qui ont effectué des séjours longs dans Mir et dans l’ISS, et qui sont revenus en Soyouz. La réflexion de médecine spatiale à leur sujet ne consistera pas principalement à attendre leur décès, qui heureusement ne va pas arriver tout de suite, mais à suivre dans le temps les effets de lésions et traumatismes bien identifiés (rétine, circulation du sang, vertèbres, etc.).
Donc, en conclusion, le travail de David L. se rattache à la médecine des astronautes ayant volé plus qu’à la médecine spatiale. Ses résultats peuvent aider à repérer les points de fragilité liés à la profession en tant qu’elle s’inscrit dans la durée avant et après le vol spatial (depuis le recrutement jusqu'à la reconversion et même au-delà), les risques ne se limitant pas au vol spatial, loin s'en faut.
Je reconnais enfin que le jour où le vrai tourisme spatial (pas celui des explorateurs privés de l’ISS, mais celui des passagers occasionnels de véhicules spatiaux type cabine de New Shepard) va se développer, le cadre de raisonnement que je décris ici devra encore évoluer, puisque les personnes ayant volé dans l'espace seront soit des professionnels dont la vie est considérée dans sa globalité au-delà de ce vol, soit des non professionnels dont les activités en-dehors de leur loisir spatial sont a priori hors sujet. Bref, l'espace va se déprofessionnaliser en partie, et le raisonnement que j'ai tenu ci-dessus devra donc être décliné différemment selon que l'on envisage des professionnels ou des non professionnels. Mais ne compliquons pas à ce stade.