Merci à
@Pline pour ces intéressantes statistiques, que je n'ai pas vérifiées, mais je présume qu'elles sont exactes puisqu'elles viennent de lui.
Le commentaire de
@Pline est fondé sur l'évolution entre 2019 et 2021, alors que son excellent graphique donne une profondeur temporelle plus importante.
En m'appuyant sur ces données, je suis tenté de faire un commentaire un peu différent, en partant de l'idée que l'on a plus de chances de repérer les tendances de fond en s'appuyant sur des moyennes pluriannuelles que sur des années particulières.
Comparons donc la moyenne 2014-2016 et la moyenne 2019-2021 pour chacun des trois groupes de lancements identifiés :
- Lanceurs "lourds" : on passe de 34,33 lancements en moyenne sur la première période à 40 lancements sur la seconde, soit une progression de
16,5%.
- Lanceurs "moyens" : on passe de 40,66 lancements en moyenne sur la première période à 50,33 lancements sur la seconde, soit une progression de
24%.
- Lanceurs "légers" et "micros" : on passe de 13,66 lancements en moyenne sur la première période à 30 lancements sur la seconde, soit une progression de
120 %.
Il n'y a pas "photo" !
Il serait certes imprudent d'extrapoler de manière catégorique, puisque la progression forte des lancements sur lanceurs "légers" et "micros" observée à mi-chemin entre les deux périodes précitées ne se confirme pas sur les deux dernières années, comme le relève
@Pline. Mais la démonstration n'est pas faite que le marché des lancements micros ou légers ne pourrait pas se développer avec l'arrivée de nouveaux lanceurs.
Pour essayer de faire une prévision, l'analyse doit dépasser le constat statistique et évaluer les facteurs qui jouent.
L'un de ces facteurs est certes défavorable aux lanceurs légers et micros : c'est la volonté des acteurs détenant des lanceurs "lourds", à commencer par SpaceX, d'utiliser ces lanceurs pour mettre sur orbite des trains de dizaines de smallsats (programme Rideshare) à des prix compétitifs.
Mais, une fois n'est pas coutume, j'ai des doutes sur la capacité de SpaceX à demeurer leader sur ce segment de marché, et à décourager la concurrence. Sauf à ce qu'elle-même développe un jour des micro lanceurs. Mais elle ne le fera probablement pas, de crainte de la réaction des autorités de concurrence, et tout simplement pour des raisons éthiques, avec sa culture de startup qui a grandi mais n'a pas oublié d'où elle vient.
Il y aura une mortalité forte parmi ces startups qui développent des microlanceurs, mais celles qui réussiront pourront probablement surpasser SpaceX, sur le segment des lancements de smallsats, en termes de compétitivité prix, de qualité de service et de souplesse, si elles combinent, pour leurs fusées et moteurs, les techniques d'impression 3D, de réutilisation, etc., et si elles font naître des marchés nouveaux, du côté des universités en particulier, dans le monde entier, grâce à une prospection commerciale active.
Ne soyons pas malthusien dans nos prévisions : le marché du spatial n'a été fermé que durant les âges sombres où l'oligopole collusif du old space freinait des quatre fers les évolutions technologiques pour empêcher toute baisse des coûts de lancement et garder le gâteau pour lui. Les temps ont changé, et plus les coûts baissent, plus des usages nouveaux deviennent concevables, plus les clients potentiels se multiplient.
En gros, le constat que fait
@Pline dans son analyse, c'est que l'arrivée de Rocket Lab sur le marché a boosté le segment des petits lanceurs au milieu de la dernière décennie, mais qu'il n'y a pas eu de phénomène similaire ensuite et donc qu'il y a eu un palier, alors que les marchés des lanceurs "moyens" et "lourds" se sont développés ces dernières années : côté américain, impact de la réutilisation de la Falcon 9, et explosion impressionnante des lancements chinois, surtout cette année.
Je pense que les segments "moyen" et "lourd" vont continuer à progresser en 2022 et 2023, dans la mesure où l'élan de la Chine est puissant (sauf perte de maîtrise de ce pays en 2022 face à Omicron, mais j'en doute) et où le score de SpaceX en 2021 est réduit par sa pause estivale et automnale liée au passage à un nouveau type de Starlink. En 2022, SpaceX aurait tout à fait les moyens de lancer une quarantaine de Falcon 9, voire davantage.
Mais le lancement réussi d'Astra est un signal : les multiples échecs précédents d'Astra n'ont pas découragé les investisseurs, parce que ces derniers savent que la marche des startups spatiales vers des coûts de lancement de plus en plus bas va continuer.
Je m'attends aussi à un essor des sociétés spatiales privées chinoises, qui commenceront par développer des lanceurs micros et légers. Et pour ce qui concerne notre pays, je me réjouis vivement des annonces récentes du ministre de l'économie français sur ces sujets.
"Space is hard". Ne devient pas opérateur de lancements de satellites qui veut, au moment programmé. Mais cela finit par venir. Par ailleurs, il y a une multiplicité de besoins, qui appellent chacun une réponse optimisée en termes de coûts et de qualité. Donc, toute une panoplie de lanceurs aux tailles et caractéristiques variées.
En matière de transports routiers, l'essor du marché des camions et autocars n'empêche pas celui des véhicules individuels, et ce dernier ne va pas asphyxier celui des motos.
On pourrait faire le même genre de remarque pour le maritime et l'aérien.
Par conséquent, au regard de tout ce qui a été dit ici, on peut s'attendre, sur le long terme, à ce que l'expansion du marché spatial se répartisse sur l'ensemble des segments et types de lanceurs concernés. Dans quelles proportions, à quel rythme ? Je ne crois pas que l'on puisse beaucoup affiner les prévisions. Mais le spatial a de l'avenir et offre des perspectives intéressantes aux investisseurs avisés et un peu chanceux, et cela vaut notamment pour le secteur des lanceurs micros et légers.