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Article d'opinion de Josef Aschbacher, directeur general de l'ESA.
Une approche globale pour les lanceurs et l'exploration en Europe
Au cours des cinq dernières décennies, l'ESA a ouvert la voie au leadership industriel, commercial et scientifique de l'Europe dans plusieurs domaines spatiaux, notamment la science spatiale, l'observation de la terre, la navigation par satellite et la communication par satellite géostationnaire, construisant au fil du temps une capacité scientifique, technique et industrielle dont nous, Européens, pouvons être très fiers. De même, jusqu'à il y a dix ans, l'Europe dominait également le secteur des lanceurs commerciaux. L'accès européen à l'espace va historiquement de pair avec les priorités de l'ESA pour soutenir notre politique spatiale au service des objectifs scientifiques, technologiques, économiques et de sécurité.
SpaceX a indéniablement changé le paradigme du marché des lanceurs tel que nous le connaissons. Entre la fiabilité du Falcon 9 et les perspectives captivantes de Starship, SpaceX continue de redéfinir totalement l'accès du monde à l'espace, repoussant les limites du possible au fur et à mesure. Une fois qu'il sera opérationnel, Starship transportera des charges utiles d'environ 100 tonnes en orbite terrestre basse (LEO) tout en réduisant le coût de lancement d'un facteur 10. Falcon 9 a pour objectif d'effectuer 100 lancements en 2023.
L'Europe, quant à elle, se trouve aujourd'hui dans une crise aiguë en matière de lanceurs, avec une interruption (bien que temporaire) de son propre accès à l'espace et sans véritable vision en matière de lanceurs au-delà de 2030. Heureusement pour nous, une vraie crise nous oblige à réfléchir franchement aux causes et aux décisions qui nous ont amenés là, à tirer les leçons douloureuses qui s'imposent et à en ressortir plus forts qu'avant. Plus résistants, plus intelligents, plus visionnaires.
Parallèlement à cette crise des lanceurs, nous nous trouvons à l'aube d'une nouvelle frontière dans l'exploration spatiale. L'arrêt de la Station spatiale internationale après 2030 et l'exploration de la Lune et d'autres corps célestes, désormais envisageable et tout à fait tangible, stimulent la créativité et ouvrent des perspectives totalement nouvelles dans les domaines de la science, de l'économie et de la géopolitique.
Mon espoir, voire ma plus grande aspiration pour l'Europe, est que ce manque temporaire d'accès à l'espace, combiné à ce moment d'opportunités inédites dans l'exploration et à une économie spatiale en évolution rapide, soit l'impulsion d'une réflexion profonde sur le mode opératoire de l'Europe, conduisant à une transformation de l'ensemble de notre écosystème spatial. Mais aussi que la position généralement acceptée selon laquelle l'Europe ne peut plus être déclassée dans des domaines stratégiques clés comme nous l'avons été il y a quelques décennies pour les technologies de l'information ou l'informatique quantique inspire de l'espoir et que cette fois, l'Europe sera prête à agir - et à tenir ses promesses. En fin de compte, j'envisage une approche holistique pour un nouveau programme phare européen combinant l'accès à l'espace et l'exploration, permettant à l'Europe d'accroître ses activités en orbite terrestre basse, dans l'espace cis-lunaire, à la surface de la Lune et au-delà. Cette transformation devrait s'appuyer sur un nouveau modèle d'engagement entre le secteur public et le secteur privé, comprenant de nouvelles stratégies d'acquisition et un rôle différent pour l'ESA et l'industrie afin d'accélérer leurs rythmes et d'améliorer leur rapport coût-efficacité.
Alors, que faire maintenant ?
Pour que l'Europe retrouve une position de leader en termes d'accès à l'espace et d'exploration spatiale, l'ESA devrait entreprendre les actions prioritaires suivantes d'ici à 2030 :
I. Tout d'abord, assurer le succès du vol inaugural d'Ariane 6 et la reprise rapide des lancements de Vega-C, y compris la montée en puissance rapide de la cadence des lanceurs et leur exploitation stable.
II. Compléter les lanceurs européens financés par des fonds publics par des mini-lanceurs qui émergent en tant que projets financés principalement par le secteur privé, le secteur public jouant le rôle de client de référence
III. Préparer les Sommets sur l'Espace de 2023 et 2024 en veillant à ce que tous les éléments nécessaires à une décision politique soient disponibles à temps, y compris les options d'architectures et les informations budgétaires, afin de susciter un large intérêt de la part des États membres et d'établir une feuille de route définissant le renforcement des capacités opérationnelles au-delà de la présente décennie.
IV. 2023-2024 : Préparer des décisions pour les chefs d'État
a. Réaliser des études de systemes complètes sur la future infrastructure spatiale européenne en maximisant la cohérence et la rentabilité, la simplicité, les synergies, la réutilisation, et en réduisant au minimum les coûts d'exploitation. Assurer la coordination avec les partenaires internationaux, en particulier la NASA, et éventuellement inviter d'autres partenaires.
b. Développer les principaux éléments en termes de technologie critique, de politique d'acquisition et de feuille de route du programme pour le prochain lanceur et les missions flagship d'exploration, en mettant fortement l'accent sur la réutilisation, la rentabilité, l'innovation et la durabilité.
c. Accroître le soutien aux entités commerciales européennes prometteuses en matière d'accès à l'espace et d'exploration, en leur fournissant des fonds d'amorçage et de développement , un soutien technique, l'accès aux installations d'essai et aux laboratoires de l'ESA, et l'accès à l'investissement privé. Encourager le cofinancement chaque fois que possible.
d. Mettre en place des concours systématiques pour obtenir des possibilités de vols réguliers auprès d'opérateurs privés européens offrant des capacités de comblement des lacunes en matière d'accès à l'espace, ainsi que des concours pour l'accès à l'orbite terrestre basse pour des charges utiles scientifiques ou commerciales.
V. 2025 : Les États membres doivent se prononcer sur une proposition que je présenterai lors du Conseil ministériel 2025 :
a. Augmentation progressive des services commerciaux de transport spatial pour stimuler la concurrence intra-européenne et les contrats multi-sources, afin d'accroître la gamme des services européens disponibles, de faire baisser les prix et de stimuler l'innovation tout en préservant l'accès souverain de l'Europe à l'espace ;
b. Un nouveau programme flagship concernant l'exploration humaine et robotique et l'accès à l'espace, en totale synergie et complémentarité avec le programme E3P de l'ESA et les programmes de développement de lanceurs ;
c. L'ESA agissant en tant que client pour les services de l'industrie, sur la base de marchés publics concurrentiels équitables et intra-européens.
Si l'Europe veut redevenir un participant clé dans la nouvelle course à l'exploration, en étant leader dans plusieurs domaines et en garantissant une autonomie stratégique accrue, le moment est venu de décider et d'agir. Des décisions tournées vers l'avenir doivent être prises, lors des sommets de l'espace de 2023 et 2024 ainsi que lors du prochain conseil ministériel de l'ESA en 2025, sur une nouvelle ambition européenne en matière de transport et d'exploration spatiaux, accompagnée d'actions et de développements concrets. Je sais que nous pouvons y arriver. Allons-y, ensemble.