Katalpa a écrit:Bien sûr que Northrop Grumman fabrique des armes et qu'ils ont au passage récupéré les brevets de Orbital ATK, il faut simplement espérer que ça bénéficie à Orbital ATK même si c'est sous un autre nom, mais si Cygnus et Omega sont des lanceurs de Northrop Grumman, personnellement, ça va me poser des problèmes de conscience très sérieux.
David L. a écrit:Donc faire une distinction entre feu Orbital-ATK et Northrop Grumman, c'est pour le moins risible.
Mustard a écrit:Bref, à part SpaceX et blue Origin, on ne peut pas dire que le spatial US soit exempt d'activité ou de lien avec l'armée.
Il convient en effet d'être conscient de tous ces liens entre le spatial civil et le spatial militaire, d'avoir une connaissance précise de ces faits.
Pour autant, je ne vois pas ce que ce débat aurait de "risible". Il vaut mieux dans les discussions n'utiliser que des termes adaptés, et ne pas évacuer pour un prétexte ou pour un autre des sujets de fond importants en relation avec l'espace qui préoccupent les membres de ce Forum. Tout ce qui est une source de préoccupation éthique ou autre en lien avec le spatial mérite examen ici à mon avis, surtout si des membres du Forum disent que cela les tracasse.
Il est normal d'envisager sans plaisir ce qui a trait à la violence, aux guerres et aux armes, alors que nous aimons sans réserve la conquête spatiale. Il y a l'ombre, et il y a la lumière. Et il y a des liens entre l'ombre et la lumière, il faut en parler. Des liens inhérents à l'emploi de technologies communes, qui génèrent des synergies. Et l'ombre, ce n'est pas forcément le mal, mais la réponse nécessaire à un mal qui vient d'ailleurs. C'est quand même de l'ombre, car hélas un pays ne peut pas lutter contre la bêtise, la violence et la cupidité d'autres pays sans être lui-même plus ou moins attrait dans une problématique trouble par une sorte de contamination partielle. La vie comporte bien des paradoxes. Il faut les assumer.
Mon propos ne signifie pas que j'inviterais à ce que l'on tombe dans une sorte de pacifisme béat, qui rêverait à un désarmement unilatéral dans un monde qui reste à l'évidence dangereux, et où il faut bien se protéger. Au contraire, il faut faire tout pour se défendre, et le faire avec une résolution absolue, mais sans jamais aimer les moyens que l'on emploie. La fierté dans la performance technologique au service de la défense des pays que nous aimons, la défense de nos valeurs, oui, mais jamais le bonheur avec ces choses ayant trait aux armes, car la guerre, c'est affreusement triste. Et la dissuasion face aux menaces, c'est nécessaire autant qu'ambigu.
Tandis que la conquête spatiale, que du bonheur.
Le Forum n'est pas le lieu pour débattre globalement des questions de philosophie et de politique internationale. Mais il y a des choses à en dire en lien avec la conquête spatiale.
Quoi que puissent écrire les esprits chagrins, les cyniques, ou ceux qui pensent être plus lucides que les autres en disant que le monde court à sa perte, je continue à préconiser comme un pari philosophique la foi dans le progrès humain (que le progrès scientifique et technique ne garantit pas, mais qu'il rend possible). Il ne s'agit pas, dans ce pari, d'observer, mais d'agir, chacun à sa place, dans son rôle, en fonction des occasions qui se présentent ; et de ne jamais perdre espoir.
Voyez-vous, on peut se représenter l'histoire de la conquête spatiale pendant la guerre froide comme quelque chose d'équivalent au combat des Horaces et des Curiaces dans la tragédie de Corneille. Les armées d'Albe et de Rome étaient prêtes à en découdre et à s'entre-exterminer. Et puis, le choix est fait de limiter la violence à trois guerriers de chaque côté. C'est ça le progrès humain, non pas le paradis tout de suite (cf. Camille et son Curiace tué par son frère), mais quelque chose d'incrémental qui limite considérablement le malheur et la souffrance, en attendant mieux. Et dans les années 1950 à 1980, le choix a été fait d'éviter la guerre nucléaire et de canaliser des énergies mortifères dans une compétition pacifique, la course à l'espace. Une compétition presque loyale, puisque n'oublions pas que c'est d'elle-même, après plusieurs échecs (course à la Lune, informatique, société de consommation...) que l'Union Soviétique s'est démantelée, avec le concours d'une grande partie des élites politiques du régime précédent. Un sacré progrès par rapport à la façon dont le nazisme avait été liquidé après les cinquante millions de morts de la seconde guerre mondiale.
Les photos de la Terre vue de l'espace, c'est ce qui a facilité la tâche de Gorbatchev quand il s'est mis à parler de "maison commune" pour mettre fin à la guerre froide.Le football, les jeux Olympiques et la conquête spatiale, c'est mieux que la guerre. L'ISS, dont tout le monde ou presque se fout à tort dans l'univers des experts en stratégie internationale, c'est un moyen de continuer à se fréquenter entre Russes et Occidentaux au nom d'une cause supérieure qui fait paraître dérisoire les motifs d'affrontement entre nations ou entre oligarchies. L'ISS, et tout ce dont elle est le fruit, c'est un élément du paysage mental qui structure, même à leur insu, les représentations et les critères d'action de nos dirigeants.
Je n'ai pas étudié la stratégie de Northrop, Grumman et Orbital ATK, et c'est donc sur le plan des principes que je me situe pour formuler l'espoir que dans cette fusion, le curseur dans la répartition des moyens entre le spatial civil et le militaire se déplacera du bon côté, grâce au contexte du New Space.
Les pessimistes pourront toujours dire qu'avec cette fusion, l'argent du spatial risque d'être siphonné par les marchands d'arme. Je recommande plutôt de faire le pari inverse, parce que nous vivons à l'époque de l'ambition martienne.
Dans cette affaire, il faut que le militaire mène au civil, et pas l'inverse. Cela peut marcher. Je vais pour finir vous raconter une anecdote que certains d'entre vous ne connaissent peut-être pas.
En 1945 vivait un ingénieur américain du nom de Percy Spencer. Ce type travaillait chez Raytheon, l'un des leaders mondiaux dans les équipements de radars, produits à vocation essentiellement militaire. Percy Spencer avait un défaut, il était gourmand et il mangeait entre les repas. Il aimait le chocolat.
Un jour, Percy Spencer s’aperçut, après avoir stationné devant un composant de radar en fonctionnement, qu’une barre de chocolat au lait qu'il avait placée dans la poche de sa chemise avait commencé à fondre et à salir le vêtement.
D'ailleurs, ce n'est pas au départ lui qui s'en est aperçu, c'est sa femme, qui lui avait interdit ses excès de chocolat, et qui, dans l'organisation du travail ménager de cette époque, lavait ses chemises.
Percy Spencer passa donc un mauvais quart d'heure lors de son retour au domicile conjugal, puis il chercha à positiver, et il fit donc l’hypothèse que le composant de radar produisait de la chaleur. Après quelques expériences complémentaires, il arriva à la certitude que tel était bien le cas. Le procédé de cuisson par micro-ondes était né. Quelques années plus tard, les premiers fours à micro-ondes, encore encombrants et coûteux, furent commercialisés dans la restauration collective. Il fallut attendre 1975 pour que l’électronique de l’appareil puisse être miniaturisée et que la vente de fours à micro-ondes aux particuliers soit un succès commercial.
Sur ce modèle, par extrapolation, je fais l'hypothèse que les activités militaires de NGIS vont permettre, fortuitement ou délibérément, de réaliser des innovations de nature civile dont cette fois le quotidien des colons qui s'installeront sur Mars sera agréablement transformé.