Nous avons encore en mémoire les nombreux vols de navettes spatiales et les EVA qui ont été nécessaires durant la première décennie du présent siècle pour assembler la poutre de l'ISS.
Nombre d'entre nous ont de la tendresse pour cette poutre et se désolent que tant de travail accompli par des héros finisse au fond de la mer. Quel vilain symbole d'une humanité versatile, amnésique, sans suite dans les idées, œuvrant dans le désordre, incapable d'inscrire ses entreprises dans la très longue durée ! Cette immense poutre tordue puis disloquée dans l'atmosphère, rougeoyant dans les nuages, se brisant sur les flots dans un fracas obscène, c'est une image un peu sacrilège qui pourrait irriter les dieux invisibles qui gouvernent notre destin.
Ce n'est pas parce qu'on l'accomplit au bout du monde, là où nul témoin ne peut l'observer, qu'un acte honteux cesse d'être un acte honteux.
Quand j'étais petit, on me disait que ceux qui jetaient du pain à la poubelle à la fin des repas risquaient d'être punis par le sort, et de se retrouver ensuite dans une situation où ils seraient affamés.
Je ne suis pas superstitieux et comme vous vous en doutez, je plaisante un peu. Mais sérieusement, sera-t-il facile de reconstituer une telle poutre quand le besoin s'en fera à nouveau sentir ? Le BFR/BFS et le New Armstrong, quand ils seront opérationnels, pourront certes placer à chaque vol plus d'une centaine de tonnes sur orbite, mais pas des objets ayant cette forme et bourgeonnant de tant de technologie... Quelle perte de temps que de devoir faire à nouveau dans dix ou vingt ans de l'assemblage de poutre durant des EVA toujours un peu dangereuses et en tout cas éprouvantes pour les astronautes...
En revanche, le BFR/BFS ou le New Armstrong pourraient s'arrimer à cette magnifique structure, et la propulser vers des orbites hautes tranquilles. Du haut de ce septième ciel, la poutre pourrait attendre quelques années ou quelques décennies que l'on vienne la chercher pour un nouvel usage. Cette belle poutre sur orbite dormante pourrait, dans trente ans, être vendue aux Chinois, s'ils se réconcilient avec les Américains, être réutilisée pour soutenir des infrastructures dans des exploitations minières de Bezos sur des astéroïdes, ou servir comme axe unissant deux BFR qui seraient mis en rotation pour générer une gravité artificielle durant un voyage vers Mars ou Jupiter. Pour passer d'un BFR à l'autre, une telle poutre, avec son wagonnet, le Mobile Remote Servicer, serait plus confortable qu'un simple câble... La terreur éprouvée par un voyageur de l'espace lors du passage d'un vaisseau spatial vers un autre en descendant le long d'un câble au-dessus des volcans déchaînés et poussiéreux d'Io, cela ne rappelle-t-il pas à ceux qui l'ont vue une scène du film 2010 Odyssée 2 dérivé du roman d'Arthur Clarke ?
Oh, j'ai oublié de suggérer un envoi vers les couches hautes de l'atmosphère de Vénus, je vais me faire mal voir par @Phénix, grave erreur diplomatique sur ce Forum... D'autant que pour défendre cette juste cause, s'inscrire dans cette nouvelle croisade en faveur de la survie de la poutre, @Phénix serait un allié naturel, puisque dans la mythologie antique, Phénix, oiseau de feu immortel, renaît de ses propres cendres.
Et sans les calculs de delta V de @Phénix, sur ce Forum, nous sommes tous foutus, aucune de nos idées n'a de chance d'aboutir...
Ceci dit, honnêtement, je laisse ici travailler mon imagination et je n'ai lu aucune étude sérieuse sur ce sujet du devenir de la poutre. Mais après tout, pourquoi pas, on est ici pour faire du brain storming, et pour cent idées extravagantes ne méritant pas mieux que la corbeille à papier, les soupirs agacés et les haussements d'épaules, il y en aura peut-être une qui par hasard s'avèrera praticable et opportune. Bref, une idée qui serait moins sotte que son misérable auteur.
Bien entendu, pour préparer une deuxième vie à cette divine poutre, il faudrait démonter les grands panneaux solaires historiques de l'ISS, dont l'efficacité décroît très vite, et les remplacer par des panneaux solaires plus petits et tout à fait neufs qui alimenteraient des petits moteurs ioniques de contrôle d'attitude situés aux extrémités de la poutre et permettant de stabiliser l'objet. On pourrait enfin disposer certaines antennes de l'ISS aux bons endroits sur cette poutre pour maintenir un lien radio avec la Terre.
Derrière cette proposition un peu fantaisiste, il y a une question que je me pose : on désorbite l'ISS en 2025 ou en 2028 - c'est-à-dire bientôt - pour beaucoup de raisons plus ou moins avouables, mais aussi en partie parce que les modules pressurisés finissent par s'user et qu'il ne faut pas mettre en danger les précieuses vies humaines que ces modules abritent ; mais si les principaux modules semblent pouvoir être prolongés jusqu'à l'âge de trente ans, et pas plus, le rythme d'usure de la poutre est-il le même ? La poutre pourrait-elle conserver ses fonctionnalités durant un ou plusieurs siècles ?
Mais au fait, quelles sont ces fonctionnalités ? Sont-elles purement logistiques et passives ? L'électronique et la connectique que soutient cette poutre doivent certes s'user. Mais la configuration de cette structure autorise-t-elle un réaménagement par des astronautes et des robonautes avec pose de câbles neufs ?
En résumé, quels sont les arguments de l'ingénieur pour me convaincre finalement que mon idée est techniquement ou économiquement stupide ?