Pline a écrit:Sujet de l'enfilade : genèse programme Artemis
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20 mails sur SpaceX pratiquement pas évoqué dans tous les articles spécialisés consacré au programme Artemis. Discussion autour d'une fusée de papier qui compte tenu des options techniques retenues fait passer la défunte navette spatiale américaine pour un engin particulièrement peu dangereux.
Vous ne seriez pas tous un tantinet enmuské ?
J'ai pour ma part beaucoup parlé de SpaceX, mais précisément pour expliquer que cette société ne jouerait pas un rôle central dans le projet Artemis.
Beaucoup des autres interventions qui évoquent SpaceX, par d'autres chemins, arrivent à la même conclusion. Beaucoup, mais pas toutes, et c'est pour cela qu'il faut poser franchement la question.
Artemis, c'est la chance de Blue Origin, tout comme les programmes COTS puis CRS ont été la chance de SpaceX.
Blue Origin a moins besoin de l'argent de la NASA que SpaceX, mais si, comme tout le laisse penser, Blue Moon est retenu par la NASA, on va pouvoir enfin savoir ce que la société de Bezos, jusque là assez discrète, est capable de faire. Travailler en partenariat avec la NASA, ce n'est pas facile. Blue Origin sera probablement à la hauteur, mais on ne sait pas comment ce dialogue technologique va fonctionner.
Je pense que beaucoup d'entre nous sont face au projet Artemis comme des poules face à un couteau : nous avons du mal à conceptualiser le sujet. Ce n'est pas que nous ayons le cerveau rigidifié par l'âge, il y a de bonnes raisons à notre perplexité.
- Il est normal de se méfier d'un projet lancé à l'occasion d'une commémoration, comme pour faire revivre un passé qui a symbolisé la grandeur de l'Amérique, et qui risque d'être oublié sitôt achevées les cérémonies du cinquantième anniversaire, d'autant plus que la compétition Etats-Unis / Chine se déroule sur un temps trop long pour être un aiguillon efficace comme l'était jadis le contexte de la guerre froide.
- Il est normal de se méfier des propositions de l'administration Trump dans beaucoup de domaines, et tout particulièrement en matière spatiale. Trump, c'est l'humeur, l'instantané, le court terme, le superficiel, etc. Rien à voir avec le sujet du spatial, qui requiert beaucoup de sérieux technique et organisationnel, beaucoup de stabilité, des nerfs solides, et une véritable vision sur le long terme.
- Il est normal de se méfier des annonces américaines de retour sur la Lune : les présidents du parti Républicain nous ont déjà fait le coup deux fois depuis trente ans : Bush père, Bush fils,et maintenant Trump. On a été déçus deux fois : jamais deux sans trois ?
- Il est normal de se méfier d'un projet dont l'épine dorsale est le SLS, projet calamiteux qui consomme les milliards, et a été plusieurs fois relooké, sans grand résultat : Arès de Constellation, puis SLS avec Orion seule, puis SLS avec Orion et LOP Gateway, maintenant SLS avec atterrisseur lunaire…
- Il est normal de se méfier d'un projet qui associe atterrissage sur la Lune et station sur orbite lunaire de halo, qui ne facilite pas cet atterrissage.
- Il est normal de se méfier des programmes spatiaux reposant sur des contributions hétéroclites. Avant Ariane, en Europe, il y a eu la fusée Europa, qui n'a jamais effectué un seul vol correct, parce que ses différents étages, tout en fonctionnant bien isolément, venaient d'acteurs qui n'étaient pas coordonnés.
Et quand on se méfie, on est tenté de se tourner vers des valeurs sûres, vers des acteurs qui ont prouvé dans un passé récent leur capacité à faire progresser les choses. Pour le spatial, SpaceX remplit incontestablement les conditions.
Ce n'est pas être "enmuské" que de réagir ainsi dans un premier temps. La Falcon 9, c'est un projet réel qui vient d'avoir 44 ou 45 succès consécutifs. Artemis, ce n'est même pas un projet sur le papier, ce ne sont pour le moment que des mots qui flottent.
Le Starship en est à ses balbutiements, certes. Et j'entends les sombres pronostics. Tout comme j'entendais il y a peu de temps des posts qui annonçaient le pire pour la Falcon Heavy. Or, celle-ci a volé deux fois. Une fois, ça pourrait être un coup de chance, deux fois, ça donne des raisons d'espérer, même si souvent l'accident intervient au troisième ou au quatrième vol. Mais ensuite, les défauts sont corrigés, et les lancements peuvent s'enchaîner…
Je ne dis pas cela pour remettre Musk et SpaceX au cœur de ce débat, mais pour comprendre pourquoi on en a beaucoup parlé.
Il ne faut plus trop parler de Musk ici, car le but de Musk, c'est Mars, ce qui pour un moment long lui interdit de se disperser significativement dans un programme lunaire. Peut-être SpaceX fera-t-elle des déclarations et offres de service dans le cadre d'Artemis, mais, pour une fois, j'aurai tendance à rejoindre ceux qui pensent que c'est de la communication pour ne pas se faire oublier, plutôt que l'expression d'une intention véritable.
Artemis, c'est l'heure de Blue Origin, c'est le tour de piste de Bezos qui, sur ce sujet, va devoir passer de l'ombre aux projecteurs.
ll faut rendre à Bezos ce qui est à Bezos, et à Musk ce qui est à Musk. Ce fil devrait maintenant beaucoup plus parler du premier que du second.
L'enjeu d'Artemis, ce n'est pas simplement que Blue Origin fasse l'étage de descente de l'atterrisseur, c'est que la société de Bezos utilise Blue Moon pour mettre le pied dans la porte et construire autour de ce programme de la NASA toute une logistique qui lui sera propre et qui se pérennisera, en s'affranchissant peu à peu des programmes gouvernementaux.
Même si le SLS finit par déboucher, il est - vu ses coûts élevé et son caractère peut-être en partie recyclable, mais non récupérable - une impasse technologique. Cette situation objective est une opportunité pour Bezos, qui pourrait faire un hold-up sur Artemis, et substituer à un moment donné ses propres fusées au SLS. Ce qui permettrait un "grand bond en avant".
Je ne crois guère au débarquement sur la Lune en 2024 dans les conditions annoncées, mais je crois que le projet Artemis donne un coup de pied dans la fourmilière et peut réellement faire avancer le spatial américain.
Cela, grâce essentiellement au New Space, qui donne peut-être à l'Occident une dernière chance de conserver le leadership technologique face au rouleau compresseur Chinois. Un New Space dont Elon Musk est une figure flamboyante, mais dont il n'est pas l'acteur unique comme les événements récents viennent de le rappeler.
Voilà, pour refermer cette fois, je l'espère, dans ce fil, la parenthèse sur Elon Musk et SpaceX.