PierredeSedna a écrit:wettnic a écrit:C‘est peut-être un peu hors sujet mais en voyant toutes ces photos, y aller un certain temps pour étudier la planète comme scientifique oui mais pour y vivre ???
C’est un vrai débat et d’ailleurs il y a un fil qui lui est spécifiquement consacré sur le Forum. Je souhaite y intervenir, mais je me demande si le présent post et celui de Wettnic ne devraient pas être déplacés vers le bon fil par les admins et modos du Forum.
Je fais partie de ceux qui pensent, ou qui font le pari, que beaucoup de gens seront motivés pour partir s'installer définitivement sur Mars.
A l'inverse, telle qu’elle est posée, la question de @wettnic appelle une réponse négative, mais cette question est un peu "orientée" dans sa formulation.
Je le dis sans esprit polémique, cette question est orientée parce qu’elle désigne du doigt le spectacle d’un désert magnifique, mais inhospitalier, sans montrer l’oasis qui viendra l'agrémenter et les habitats confortables qui y seront bâtis, sans suggérer les activités et les préoccupations des hommes et des femmes qui viendront s'y installer, et sans concevoir les liens de camaraderie, d'admiration, d’amitié, ou parfois d’amour qui se tisseront sur ce nouveau monde.
Certes, Mars, ce n'est pas le Club Méditerranée. Mais Christophe Colomb et ses équipages, quand ils sont partis pour ce qui devait plus tard s'avérer être l'Amérique, n'aspiraient pas à prendre des vacances. Pas plus que la plupart des millions de migrants qui au cours des siècles écoulés ont décidé de traverser l'Atlantique.
L'homme libre, ce n'est pas celui qui se laisse dériver comme une plume au fil du vent, qui recherche la facilité, qui évite de s'engager ; c'est au contraire celui qui a su à un moment donné choisir ses chaînes.
C'est celui qui, un peu par intuition, un peu par calcul, un peu par caprice, un peu par hasard, a su changer de chemin pour réaliser un projet ambitieux requérant des efforts et des sacrifices, mais permettant de se définir en tant qu'individu, de surmonter des épreuves, de faire des rencontres et des découvertes ; et qui, ce faisant, a construit pour lui-même et pour les autres un récit de sa vie fortement porteur de sens.
La migration de l’homme vers Mars n’est pas la première effectuée par l’humanité. De tout temps, il s’est trouvé des humains, avec les motivations les plus diverses, bonnes ou mauvaises, pour s'éloigner de leur pays natal afin de rejoindre d'autres régions ou d'autres continents, quand bien même ce choix leur imposait un mode de vie ascétique, incertain et dangereux.
De l’assassin fuyant son passé à l'amoureux éconduit voulant oublier sa peine, du chercheur d’or assoiffé de gains à l'utopiste fondateur de phalanstère, de l’aventurier intrépide à l’ermite en quête de transcendance, ils ont été nombreux à franchir le pas et à prendre le risque de s’élancer vers l’inconnu, sans possibilité de retour.
Ils l’ont regretté, bien souvent, ne trouvant pas ailleurs ce qui leur faisait défaut ici avant leur départ, et finissant parfois tragiquement. Mais d'une certaine façon, qu’importe ! Ils ont ouvert la route et d’autres les ont suivis.
Vous me direz, je sais bien, qu'ils n'étaient pas sortis de l'écosystème de la Terre, que comparaison n'est pas raison, et que tout se complique quand on s'extrait de notre bulle de vie, avec ses ressources, son air respirable, sa température supportable, la protection qu'apportent la magnétosphère terrestre et l'ozone stratosphérique. Vous me direz, je sais, que Christophe Colomb n'a mis que trois mois pour franchir l'Atlantique et qu'il en faut neuf pour atteindre Mars. Vous me direz, je sais, que l'apesanteur est plus préjudiciable au corps humain que le mal de mer.
Cependant pour moi, ces arguments ne valent pas mieux que les superstitions de la fin du Moyen-Age sur les monstres et les tourbillons qui auraient menacé les navigateurs s'approchant du bout du monde. Oui, il y a des obstacles à surmonter pour que le voyage vers Mars devienne possible, mais non, aucun de ces obstacles n'est insurmontable pour peu que l'on s'y attaque avec détermination. Ne pas identifier ces obstacles ou les tenir pour négligeables, ce serait évidemment faire preuve d'ignorance, mais croire qu'il n'y a pas de solution, en l'état actuel déjà atteint par les connaissances sur le sujet, c'est faire preuve d'irrationalité, et j'ajouterai, d'une irrationalité de mauvais aloi.
A la fin de XVème siècle, la rigidité d'esprit était étroitement liée aux croyances religieuses et en la peur du démon, au XXIème siècle, elle se nourrit de dérives idéologiques et de mélancolies qui croient pouvoir s'appuyer sur l'écologie, et qui finissent par imprégner l'esprit de la plupart de nos contemporains, à leur insu bien souvent.
Envisager la colonisation de Mars, se placer dans la perspective que l'humanité survive et prospère loin de l'écosystème terrestre, c'est pour une partie de notre société une sorte de blasphème, parce que cela contrarie toute une série de croyances prétendument scientifiques sur le caractère indissociable de l'homme et de son écosystème global d'origine, et sur l'impuissance de la technologie. Mon propos n'est pas aujourd'hui de reprendre un par un tous les aspects du sujet : protection contre les rayonnements, adaptation à l'apesanteur ou à des pesanteurs réduites, mise en place de circuits écologiques fermés et durables dans des habitats loin de la Terre, mais de me concentrer sur la dimension psychologique du défi de l'occupation de Mars, en réponse à la question de @wettnic.
A cet égard, la clé pour que les nouveaux arrivants sur Mars bénéficient d'un environnement de vie supportable, c'est l'approche adoptée par SpaceX, consistant à faire reposer les expéditions vers Mars sur des systèmes de transport réutilisables à coûts aussi maîtrisés et bas que possible et à très grand gabarit. De la sorte, avec de tels moyens logistiques, très supérieurs à ceux envisagés jusqu'ici pour des expéditions purement scientifiques sur Mars, on réduit fortement la difficulté. En particulier, comme la crise sanitaire l'a rappelé, l'homme est un être fait pour vivre en société et pour multiplier ses rencontres physiques avec ses semblables, faute de quoi il peut devenir fou. L'approche d'Elon Musk consistant à faire voyager d'emblée des centaines de colons vers Mars est beaucoup plus sûre que celle qui aurait consisté à y envoyer une demi-douzaine de scientifiques.
Une dernière remarque pour conclure, un peu en miroir de mon introduction : la colonisation de Mars est un projet rationnel pour l'avenir de l'humanité, mais la motivation de chacun des humains participant à cette vaste entreprise ne sera que très partiellement rationnelle. Ceux qui ne comprennent pas la démarche de SpaceX, l'enchaînement des prototypes de fusées réutilisables à bas coût qui sortent cabossés des chaînes, traînent dans la boue, sont renversés par le vent ou qui explosent, s'étrangleront encore plus d'indignation quand on arrivera à l'étape de la sélection des colons. Car là, surprise, les gens choisis, certes pas tout à fait au hasard, n'auront pas vraiment pour autant "l'étoffe des héros". Ce seront plutôt des gens un peu névrosés, un peu excessifs, un peu bizarres, car on n'en trouvera pas d'autres pour s'engager dans un projet aussi particulier. L'expérience fera d'une partie d'entre eux des héros, mais ils ne le seront pas à l'origine. Bref, le contraire de l'actuelle sélection des astronautes de l'ESA ! Et c'est ce qui fait que cela marchera ! Des gens parfaitement adaptés et à l'aise sur le plancher des vaches de notre bonne vieille planète Terre, capables de passer six mois dans l'ISS, n'auront en général aucune envie de s'installer sur Mars pour toujours.
Une fois de plus, pour comprendre la logique des projets d'Elon Musk, sur tous les sujets, il faut vraiment se placer d'un point de vue différent de celui de l'astronautique traditionnelle...
Combien parmi les migrants qui traversent la Méditerranée sur des embarcations de fortune pour rejoindre l'Europe prendraient un ticket vers Mars ?