Ayant fait des recherches sur le sujet il y a quelques années, je tenais à apporter une petite contribution au topic. Je m'excuse pour la longueur du post, mais chaque détail compte ^^
Voici donc un petit résumé de la situation pour
le spatial français des années 1930 jusqu'à la fin de l'occupation (et vous allez voir qu'il s'en est passé des choses
) :
Tout d'abord, commençons par le commencement. Le théoricien français de la fusée s'appelait Robert Esnault-Pelterie. Cet homme était Ingénieur de formation mais également pilote. Il publia en 1930 un ouvrage théorique fondateur : l'Astronautique, dont les quatre premiers chapitres décrivaient les caractéristiques techniques des fusées tandis que les quatre suivant abordaient des questions plus larges comme la révolution d'un véhicule spatial autour de la Terre ou bien le vol interplanétaire. Esnault-Pelterie eut l'occasion de débuter ses premières expériences dans son laboratoire personnel de Boulogne-sur-Seine à cette même époque.
Robert Esnault-Pelterie (1881-1957)
Manquant de fonds pour approfondir ses expériences, il essaya d'obtenir une aide du Ministère de la Guerre qui la lui refusa. Dans sa réponse, le Ministère appuie son avis par le fait que les obstacles techniques étaient bien trop importants pour pouvoir espérer des résultat à court terme.
Durant cette période, il correspondait également avec un militaire qui s'intéressait à ses travaux : le lieutenant Jean-Jacques Barré. En novembre 1930 et à défaut d'obtenir des financements, il demanda au Ministère de la Guerre le détachement du lieutenant Barré, un ingénieur militaire intéressé par ses travaux.
A sa grande surprise, le Ministère accepta. De fil en aiguille, des contacts plus poussés se firent avec le Ministère, entre autres avec le général Ferrié qui fit en sorte d'obtenir au binôme Esnault-Pelterie Barré, les crédits militaires nécessaires afin qu'ils approfondissent leurs recherches.
Jean-Jacques Barré (1901-1978)
Ce financement leur permit d'envisager la construction d'une fusée de 100 kilogrammes propulsée par un moteur de 300 kilogrammes de poussée (puissance calculée par le binôme Esnault-Pelterie & Barré pour atteindre l'altitude de 200 kilomètres). Le Ministère de la Guerre, commençant à entrevoir la valeur de ces travaux, leur construisit même à Satory, près de Versailles, un important banc d'essai.
Les premiers essais d'une chambre de combustion se déroulèrent avec succès entre avril 1935 et mai 1936. Jusqu'en juin 1940, les travaux d'Esnault-Pelterie et de Barré étaient alors essentiellement focalisés sur la résolution du problème des tuyères non-refroidies, ceci en étudiant des alliages réfractaires à des températures de l'ordre de 3000°C.
Lors de la défaite de juin 1940, leurs travaux prirent fin, l'armée allemande ayant interdit les recherches sur les fusées. La Wehrmacht détruisit également le banc d'essai de Satory. Esnault-Pelterie, miné physiquement et psychologiquement se retira à Genève où il mourut en 1957.
Cependant, le Lieutenant Barré tenait à poursuivre ses travaux en contournant les obligations imposées par l'armistice. Il rédigea un mémoire sur les différents types de projectiles autopropulsés et réussit à convaincre le Service Technique de l'Artillerie, qui avait été clandestinement reconstitué en zone libre sous l’appellation de Service Central des Marchés et de Surveillance des approvisionnements, de le laisser entreprendre la construction d'une fusée.
L'équipe d'une dizaine de personnes qu'il put rassembler s'installa dans l'arrière-cour d'un immeuble de la Croix-Rousse à Lyon. En mars 1941, les principales caractéristiques de cette fusée, baptisée EA 1941 (EA pour "engin autopropulsé") étaient arrêtées : elle devait peser 100 kilogrammes et posséder un moteur délivrant une poussée d'une tonne pour une portée de 100 kilomètres.
Pour ne pas éveiller l'attention des Allemands, les premiers essais moteurs furent menés dans la plus grande discrétion au camp militaire du Larzac les 15 novembre 1941 ainsi que les 17 et 18 mars 1942.
Ces essais furent des échecs. L'organisation du banc d'essai fut mise en cause et dut entièrement être réétudiée. Trois nouveaux tirs statiques eurent lieu, cette fois avec succès, les 23 juillet, 12 août et 24 septembre 1942, sur un nouveau banc d'essai construit au fort de Vancia à proximité de Lyon. Une fusée complète avait même été testée au banc et une campagne de tir réelle fut envisagée. Fort de ce succès, Barré fut promu capitaine.
Jean-Jacques Barré tenant un exemplaire de la EA 1941
Afin de poursuivre les recherches de l'équipe dans de meilleures conditions, une mission de prospection fut envoyée en Afrique du Nord française pour trouver un champ de tir approprié, mais le projet resta sans suite en raison du débarquement anglo-américain en Afrique du Nord le 8 novembre 1942 et de l'invasion de la zone libre par les Allemands.
Le matériel resté à Marseille fut dissimulé à la hâte. Le capitaine Barré dut ensuite garder la clandestinité et de se contenter de recherches théoriques jusqu'à la fin de la guerre. Il fournira cependant des esquisses de sa fusée aux services de renseignements britanniques qui cherchaient alors à cerner les caractéristiques de la fusée allemande A4/V2.
A la libération, le capitaine Barré reprit ses travaux (septembre 1944). Paris avait été la cible de fusées allemandes et l'intérêt de ces dernières n'étaient plus à démontrer. La société de mécanique SAGEM fut chargée de la fabrication des premières fusées EA 1941 et une campagne de lancement fut organisée au polygone de la Renardière, situé dans la presqu'île de Saint-Mandrier, en face du port de Toulon.
Deux fusées EA 1941 y furent donc tirées le 15 mars 1945, mais les deux explosèrent peu de temps après avoir quitté la rampe. Il fallu attendre la campagne de tir s'étendant du 6 au 18 juillet 1945 pour voir voler la EA 1941 avec un quasi-succès (apogée de 60 kilomètres).
Un des ultimes exemplaires de EA-1941 avant le passage aux modèles EA 1946 et EOLE
Après ces vols, le capitaine Barré entreprit diverses améliorations de sa fusée et dans ce but, il fut invité à accompagner en Allemagne le professeur Henri Moureu, grâce auquel l'Armée française s'intéressait à l'étude et à la production de la fusée A4/V2.
Mais la suite est une autre (longue) histoire
Pour tous ceux qui s'intéressent à cette période, je vous recommande chaudement ce livre d'où sont issus la plupart de mes sources : Oliver Huwart, Du V2 à Véronique, la naissance des fusées françaises, Marines Editions IBSN 2-915379-19-X