Je vous propose donc ma vision strictement personnelle du bilan de l'année 2016 vue du côté russe.
1. Le nouveau programme spatial2016 a été l'année la plus inhabituelle qu'a connue la Russie depuis très longtemps. Le plus grand événement de l'année n'a pas eu lieu sur un pas de tir, mais dans les couloirs du Kremlin. Il s'agit bien entendu du vote du programme spatial fédéral pour la décennie à venir (2016-2025). La somme attribuée à Roscosmos est en augmentation par rapport aux années précédentes, mais elle a été réduite de moitié par rapport à ce qui avait été envisagé avant la crise ukrainienne (qui a d'ailleurs largement dépassé les frontières de l'Ukraine). 2016 devait être l'année d'un discours à la Kennedy pour annoncer le débarquement russe sur la Lune, mais ce grand projet a été repoussé à la décennie suivante (2026-2035).
Il subsiste tout de même le vaisseau Federatsia, qui s'est vu attribuer la coquette somme de 42 milliards de roubles juste pour la première tranche, et la construction du pas de tir Angara à Vostotchnyi pour lancer le Federatsia à partir de 2021. L'autre grand projet décidé par le gouvernement est le lanceur Feniks, qui servira à la fois de remplaçant pour la défunte Zenit et d'étage de base pour le futur lanceur super-lourd. L'objectif est que, au début de la décennie suivante, tout soit prêt pour commencer le programme de vols habités lunaires.
En conclusion de cet épisode majeur de 2016, je dirais que l'objectif a été affirmé clairement (la Lune, la Lune, et rien que la Lune), mais que les moyens ne sont pas attendus pour y parvenir.
2. Un nouveau cosmodromeL'autre événement majeur de l'année est l'inauguration du cosmodrome de Vostotchnyi. C'est l'aboutissement d'une idée lancée dès les années Eltsine. Sachant que le projet a démarré en 2012 avec un premier tir demandé avant décembre 2015, il est remarquable qu'il ait été conduit avec seulement quatre mois de retard. Cela montre que, quand le budget est là, la qualité et le calendrier sont au rendez-vous également.
3. Une activité au ralentiTous les observateurs ont été interloqués par le faible nombre de lancements réalisé par la Russie en 2016. Seulement 17, et éventuellement 19 si on compte les deux tirs de Soyouz en Guyane. L'année précédente avait déjà été marquée par une diminution du nombre des lancements, et il est donc possible que l'on assiste à une véritable attrition.
Les principales causes sont la quasi-disparition de Proton-M sur le marché des lancements commerciaux, ainsi que l'abandon (non encore confirmé) du lanceur léger Dniepr. A eux deux, ces lanceurs n'ont réalisé que 3 tirs cette année, contre 10 en 2014 et 9 en 2015. Par ailleurs, seuls deux lancements militaires on été réalisés. Dans le cadre du programme fédéral (hors vols habités), Roscosmos n'a lancé en tout et pour tout qu'un satellite d'observation de la Terre (Ressource-P n°3) et un satellite scientifique (Lomonossov). Tous les autres vols sont reportés à 2017.
Il est possible que cette baisse significative de l'activité spatiale russe ne soit que le résultat de la transition entre les deux programmes fédéraux (2006-2015 et 2016-2025). Le fait qu'une multitude de contrats aient été signés avec l'industrie en fin d'année tendrait à le confirmer. La modernisation des satellites militaires d'observation de la Terre (abandon du retour sur pellicules), l'augmentation de la durée de vie des satellites de télécommunications et la bonne tenue des satellites GLONASS sont aussi ds facteurs menant à la diminution des lancements.
4. La qualité, toujours pas au rendez-vousL'année 2016 n'aura pas été épargnée par la tendance à la baisse de la qualité des systèmes spatiaux russes depuis 2010. Un lanceur Soyouz-U a été perdu, un Soyouz-2.1b et une Proton-M ont failli l'être. Ressource-P n°3 a eu des problèmes de panneaux solaires, après avoir d'ailleurs subit une tentative de lancement avortée.
L'amélioration de la fiabilité était pourtant l'objectif principal qui a conduit à la réforme complète du secteur spatial russe, de la dissolution de Roscosmos et de son remplacement par une entreprise nationalisée (qui a pris le même nom que la défunte agence spatiale)
5. Les vols habités et l'incertitude de l'ISSDe très grandes questions se posent sur l'avenir des vols habités en Russie. Ce dont on est sûrs, c'est qu'ils constituent toujours une haute priorité, y compris pour le Gouvernement.
Le programme Federatsia a été lancé pour de bon cette année (dans l'indifférence médiatique la plus totale), et le financement (42 milliards) semble à la hauteur de l'ambition, qui est de réaliser un premier vol inhabité en 2021. Ce nouveau vaisseau ne servira pas à grand chose tant qu'un lanceur super-lourd ne sera pas là pour l'emmener sur la Lune, mais c'est un bon début. Suite au durcissement des conditions économiques, la stratégie consiste à développer le vaisseau dans un premier temps, et le lanceur dans un second. Roscosmos n'a pas le budget de la NASA, et ne peut pas faire les deux simultanément (cumulés à l'exploitation de l'ISS).
Les vols de Progress ont déjà été réduits (de 4 à 3), et Roscosmos a annoncé cette année une diminution des équipages (2 cosmonautes russes sur l'ISS en permanence au lieu de trois). Il s'agit officiellement d'une mesure d'économie, mais des sources internes à Roscosmos laisseraient penser que ce ne serait que la partie émergée d'un très gros iceberg. Une partie des décideurs souhaite en effet un désengagement partiel de la Russie dans l'ISS. La réduction des équipages et le refus de qualifier le nouveau module Nauka (MLM) seraient des conséquences de cet état de fait. L'avenir nous en dira certainement plus.
En attendant, il est possible que des touristes volent en 2017 sur les sièges libres des Soyouz MS. Cette nouvelle version du vaisseau est d'ailleurs la principale avancée en 2016 dans le domaine des vols habités. Elle n'offre pas de capacité significativement supérieure à la version Soyouz TMA-M, mais elle doit permettre à terme de réaliser des rendez-vous avec l'ISS en 1h30, de diminuer la dépendance envers l'Ukraine (et donc à la sécurisation de la production) et de supprimer un grand nombre d'obsolescences.
En 2016, Roscosmos a aussi lancé le développement d'une nouvelle famille de vaisseaux pour remplacer les Soyouz et Progress dans le rôle de desserte de l'orbite basse. On devrait avoir du nouveau à ce sujet en 2017.
6. La science spatiale, le parent pauvreSeulement deux missions scientifiques cette année : Lomonossov et ExoMars-2016. Elles sont réussies toutes les deux, mais les nouvelle orientations confirment que les projets dans ce domaine sont tous revus à la baisse, voire annulés.