Titan, « une Terre primitive mise au congélateur »Par Eric Hébrard, Docteur en chimie de la pollution atmosphérique et physique de l’environnement, post-doctorant au Centre National d’Etudes Spatiales (CNES) Discipline :
Titan et Epiméthée, avec les anneaux de Saturne. | Photo : TailspinT.
Entretien avec Eric Hebrard, à l’occasion de l’Année Mondiale de l’Astronomie.Le Mensuel de l’Université : En quoi les découvertes sur Titan sont-elles importantes pour la conquête spatiale ?Eric Hebrard : Visiter l’environnement de Saturne et Titan plus spécialement, nous permet de préciser les origines et l’évolution du système solaire depuis la formation des planètes, afin de mieux comprendre comment la Terre s’est formée et comment elle a évolué depuis sa formation. Depuis la formation de la Terre, il y a eu l’apparition de la vie, qui a nécessité des conditions assez spécifiques. Ainsi, aller voir ce qui se passe sur des planètes qui sont dans des étapes qui précèdent la vie, nous permet de préciser ce qui s’est passé sur Terre.
LMU : Titan étant perçu comme analogue à la Terre primitive, qu’est-ce que vos recherches ont permis d’apprendre quant à la Terre ?
Eric Hebrard : Les premières images de Titan, fournies par la sonde Voyager au début des années 1980, nous ont permis de constater que son atmosphère possède une chimie très active. Les premiers clichés de Titan montraient en effet une espèce de boule de billard complètement lisse et orangée : l’atmosphère nous empêchait de voir ce qu’il y avait en dessous. Il arrive que, la chimie qui s’y déroule étant très active, les composés gazeux qui sont dans la biosphère, sous l’influence du Soleil et d’autres rayonnements énergétiques, se complexifient de plus en plus jusqu’à former de petites particules solides : des aérosols. Cette situation pourrait être analogue à celle qui a eu lieu dans l’atmosphère de la Terre avant la vie. Cette hypothèse a été formulée à partir de l’expérience de Stanley Miller en 1953 : il a mis un mélange de gaz, selon lui analogue à celui de la Terre primitive, il y a ajouté un courant électrique et de l’eau liquide, et il a vu que l’eau formait des acides aminés, c’est-à-dire que ces gaz se complexifiaient de plus en plus en molécules jusqu’à atteindre des tailles assez conséquentes pour former des acides aminés. C’est probablement ce qui se passe dans l’atmosphère de Titan, qui est pour nous un énorme réacteur de laboratoire à échelle planétaire.
LMU : Selon vous, est-il possible que l’on découvre des traces de vie sur Titan ?Eric Hebrard : Bien que s’y déroulent les premières phases de la vie, soit la formation de molécules organiques très complexes, il faut savoir qu’il y fait extrêmement froid : - 180°. C’est une Terre primitive mise au congélateur et qui a donc retardé son évolution. Nous ne pensons donc pas qu’il y ait de la vie actuellement à la surface de Titan. En revanche, nous sommes quasiment sûrs qu’il y a un océan d’eau liquide dans sa structure interne, et il se peut qu’existent des petites poches aux conditions plus favorables à la vie, en température, pression et eau liquide, où la vie aurait pu subsister, en admettant que des conditions aient été différentes par le passé et qu’elles aient été favorables à une évolution de ces molécules organiques vers de petites vies unicellulaires, propres aux premières étapes de la vie.
LMU : A quels résultats la convergence de trois approches, à savoir l’observation et la mesurein situ, la simulation expérimentale et la modélisation théorique, a-t-elle aboutit ?Eric Hebrard : Toutes ces découvertes ont été rendus possibles grâce à des instruments spécialement mis au point. Il a d’abord fallu faire un travail en amont. Par exemple, pour l’existence même de l’atmosphère de Titan, cela n’a pas été évident : si Titan a été découvert par Huygens au XVII
ème siècle, il a fallu attendre le début du XX
ème siècle pour découvrir qu’il avait une atmosphère, et encore 50 ans pour savoir que cette atmosphère était composée de méthane. Le spectre du méthane a été décelé par observation. Ensuite, des modélisateurs ont suggéré que, si le méthane existait en était gazeux, cela était dû à la présence d’azote. Le survol de la sonde Voyager a permis de constater qu’elle était composée majoritairement d’azote avec une petite part de méthane. L’astronome américain Carl Sagan a fait ensuite l’hypothèse que toutes les conditions étaient réunies pour que cette atmosphère se complexifie vers des molécules de plus en plus importantes et complexes, sans doute en rapport avec la vie. Il a recréé, par une simulation expérimentale, les conditions de Titan, et il a constaté que, soumise à des sources énergétiques, l’atmosphère de Titan était susceptible de former des petites particules analogues aux aérosols présents dans son atmosphère. Maintenant, grâce à Cassini-Huygens, nous avons accès directement à la nature physico-chimique de ces particules.
LMU : Après Titan, quel nouvel objectif la conquête spatiale peut-elle se donner ?Eric Hebrard : Nous pourrions retourner dans l’environnement de Saturne, sur Encelade et Titan, pour y déposer des instruments à la surface, en imaginant des dirigeables permettant de se déplacer d’un endroit à l’autre et d’aller observer des caractéristiques que nous avons cru déceler grâce à Cassini-Huygens, comme des cryo-volcans, des anciens cratères d’impacts, des lacs d’hydrocarbures aux hautes latitudes, toutes ces traces géologiques qui semblent importantes. Nous pourrions même aller sur Europe, qui possèderait aussi un océan interne de liquide, où nous pouvons imaginer l’existence de petites poches de conditions favorables où la vie pourrait prospérer.
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