PierredeSedna a écrit: Aldébaran a écrit:Pourquoi appeler "sciences dures" les sciences EXACTES dans leur domaine d'application ? Les "sciences humaines " sont loin, très loin, d'être exactes et en aucun cas ne contribuent à l'étude des lois de l'Univers. Elles se bornent bien souvent à se réfugier dans des dogmes, lesquels, contrairement aux sciences exactes, sont totalement figés et donc contre-productifs.
Bonjour Aldebaran, j’ai plaisir à lire vos posts, qui apportent des éclairages intéressants. Mais permettez-moi d’exprimer une nuance par rapport à vos propos : il y a aussi des errements, et souvent du dogmatisme du côté des spécialistes des sciences dures.
Tout d’abord, il y a des mécanismes structurels qui conduisent les scientifiques des sciences dures à se fourvoyer (1ère partie du post). Ensuite, le fait que ces erreurs sont fréquentes et très lourdes apparaît dans l’histoire des sciences et peut être établi par de nombreuses observations et vérifications à la portée de n’importe qui (2ème partie). Il faut tirer les conséquences des limites de la connaissance scientifique dans le débat sur les limites de la conquête spatiale (3ème partie).
1 - Il y a des mécanismes structurels qui conduisent les scientifiques des sciences dures à se fourvoyer
A – A l’origine des erreurs scientifiques…
a) Bachelard a décrit des mécanismes culturels et psychologiques qui faussent le raisonnement scientifique dans les sciences dures.
b) La recherche scientifique est par ailleurs institutionnellement très compartimentée, alors que tout progrès de la connaissance nécessite des approches interdisciplinaires. La pensée cloisonnée, enfermée dans des limites disciplinaires, est souvent stérile (cf. les remarquables analyses à ce sujet d’Edgar Morin), et peut même déboucher sur des absurdités, parce qu’à la base les bonnes questions n’ont pas été posées ou parce que le fil du raisonnement, enfermé dans des limites trop étroites, passe à côté de données latérales qui sont en réalité déterminantes. Les bonnes questions qui permettent de « penser juste » sont celles qui dérivent d’une réflexion qui à son démarrage « brasse large ».
c) Les scientifiques sont par ailleurs guidés dans leurs réflexion par des logiques de carrière et de rivalités. De la même manière que les cadres supérieurs des entreprises et des administrations ou que les militants politiques, ils arrivent plus ou moins à se convaincre de la véracité du discours à la conception duquel ils sont associés. Leur sincérité est en général réelle, mais elle vient après une sorte de formatage guidé au départ par des préoccupations alimentaires.
d) Vous avez aussi des scientifiques liés à des lobbies. Lobby pharmaceutique, lobby pétrolier, etc. Attention, je ne critique pas forcément les lobbies, ils sont nécessaires à la démocratie, ils apportent une partie de l’information (qui bien entendu doit être vérifiée auprès d’autres sources)... Mais je dis, prudence ! Quand un type, même bardé de diplômes et de titres scientifiques, vous rend une expertise, il vaut mieux savoir qui il est, ce qu’il fait, s’il est influencé par une philosophie ou une religion... Bref, savoir d’où il parle... Chacun de nous a pu se poser ce genre de questions dans des débats, par exemple, sur le climat, sur la dangerosité de pratiques industrielles ou agricoles, sur la nocivité de certains produits...
B) La détection des erreurs scientifiques et des impostures
a) Il faut toujours regarder le contexte à côté du texte.
b) Mais en même temps, il faut savoir raison garder. Je ne dis pas que quand quelqu’un vous montre la Lune, il ne faut regarder que son doigt. Il faut regarder le doigt et l’allure du type pour essayer de deviner s’il est crédible, mais il ne faut pas en être omnubilé au point d’oublier de regarder la Lune.
Je ne suis pas un adepte de la « philosophie du soupçon » qui inspirait les universitaires agités, les imprécateurs et les gourous prétentieux qui ont terni l’image des sciences humaines dans les années soixante et soixante-dix et qui expliquent peut-être, Aldebaran, vos réticences... Il y a eu quelques imposteurs qui ont été ensuite plus ou moins démasqués, et nous n’en sommes plus vraiment là aujourd’hui, fort heureusement !
2 – Au niveau des productions scientifiques, le fait que les erreurs sont lourdes et les aveuglements dogmatiques fréquents peut être établi à partir de nombreuses observations et vérifications à la portée de n’importe qui.
Prenons maintenant le problème sous l’angle des conséquences observées et vérifiables de la fragilité institutionnelle et humaine des scientifiques des sciences dures sur leurs productions.
A - L’Histoire des sciences jusqu’à ce jour peut être perçue comme celle d’un progrès de la pensée humaine, mais en même temps, si l’on regarde dans le détail, il saute aux yeux que l’Histoire des sciences est d’abord l’Histoire des erreurs scientifiques.
Erreurs peu à peu corrigées, certes, mais tardivement et partiellement. Notre univers est complexe et ne se déchiffre pas facilement. Le désir de savoir et de comprendre et l’aridité du quotidien de la recherche font que le scientifique se fatigue, qu’il relâche ses disciplines. Comme il est un homme, avec la fragilité humaine, il glisse vite du constat objectif à l’hypothèse plus ou moins étayée, sans bien savoir à quel maillon du raisonnement se situe la frontière. La vanité et le désir de parler de soi font que le scientifique manquera souvent d’esprit critique par rapport à ses productions. Bien sûr, il y a l’évaluation par les pairs. Filtre sérieux, mais pas totalement efficace. Ne revenons pas sur les intérêts de carrière et les comportements prudents, voire serviles ou moutonniers.
Je suis plus jeune que vous Aldébaran, mais je ne suis plus tout à fait un perdreau et dans des revues de vulgarisation scientifique, depuis une cinquantaine d’années, je lis des résumés de travaux des scientifiques renommés du moment. J’ai conservé mes collections dans ma cave. Que d’affirmations péremptoires relativisées ou démenties dix ans plus tard ou parfois plus vite ! Si vous allez à la BNF et que vous faites cet exercice, vous en ressortirez accablé.
Prenons quelques sujets : les étapes de la formation du système solaire, l’origine de la Lune, la provenance de l’eau sur la Terre, l’histoire géologique de Mars, la généalogie des premiers hominidés, les premiers moments qui ont suivi le big bang... Je n’aurai pas la cruauté de reprendre la succession des thèses qui ont eu le soutien de la majorité de la communauté scientifique du moment avant d’être abandonnées plus ou moins discrètement...
En astronomie, on nous déroule des scénarios qui ne sont que des hypothèses argumentées et, au mieux, non contredites par les résultats actuels de la recherche, mais que l’on nous présente comme des certitudes. Ce sont des histoires qui font rêver et qui s’avéreront peut‑être correspondre partiellement à l’histoire réelle. Ces beaux récits incitent le contribuable et les décideurs politiques à financer la recherche, et à ce titre, je les soutiens. Mais je ne les prends pas à la lettre, je prends un peu de recul en mon for intérieur. Je relativise et j’attends (avec bonheur) la théorie suivante.
Cédric Villlani a écrit un jour dans une revue d’astronomie tout ce que j’avais toujours vaguement pensé au plus profond de mon inconscient sur l’astronomie contemporaine sans jamais oser me l’avouer à moi-même tant il est difficile de se dissocier de l’opinion de la majorité des « sachants ». Cédric Villani a fait gentiment observer que les théories cosmologiques dominantes reposent sur la matière sombre et l’énergie sombre qui dérivent simplement du constat de faits peu explicables, mais qui n’ont jamais pu être étayées et analysées en elles-mêmes sur la base d’observations directes.
B – La notion de « science exacte » est une aporie.
Le terme de « science exacte » apparaît partout, et vous l’avez, cher Aldebaran, repris, mais ne doit-on pas le contester ?
Ce terme est, à mon humble avis, entaché d’une contradiction insurmontable. Personne ne devrait plus avoir la naïveté de penser que la science, même dure, se confond avec les lois de l’univers. La science n’est qu’une représentation, une modélisation, une approximation plus ou moins fidèle de l’univers, produite par les réseaux neuronaux forts imparfaits de bipèdes plus ou moins neurasthéniques.
Les sciences dures procèdent par approximations successives : la mécanique de Newton n’est vraie que de manière approximative, il faut l’affiner avec la relativité d’Einstein dont les équations sont elles-mêmes susceptibles d’être précisées ou complétées un jour.
Pardonnez moi cette cuistrerie de lycéen : science sans conscience n’est que ruine de l’âme, disait Rabelais. Cette phrase ne signifie pas simplement à mon avis que les applications techniques des sciences doivent être guidées par la conscience humaine. Elle signifie également que le développement de la science doit être guidé par des principes que l’on ne peut pas trouver dans la connaissance scientifique disciplinaire elle-même. Bien entendu, je pense à l’épistémologie qui en elle-même ne me paraît pas devoir être classée dans les sciences dures. Je pense aussi à la philosophie en général ou aux sciences humaines. A l’Histoire par exemple, l’Histoire des sciences et celle, indissociable, des sociétés avec leurs intérêts, leurs aveuglements, leurs tabous.
Quand Cédric Villani, dans sa critique des courants dominants de l’astronomie contemporaine (antérieure à son entrée en politique), souligne la fragilité des hypothèses sur la matière noire et l’énergie noire, il ne se fonde pas sur l’astronomie elle-même, car il n’a pas de légitimité pour ce faire, il n’est pas astronome. Non, il se fonde sur l’histoire de l’astronomie, qui pendant des siècles, de Ptolémée à la Renaissance, a reposé sur la théorie des épicycles, théorie qui se nourrissait et se complexifiait au fil de nombreuses observations indirectes et qui pourtant était complètement fausse. Elle était fausse et elle était néanmoins conservée, améliorée et développée (on peut même dire qu’elle était vivante !) parce que les hommes de l’époque ne voulaient pas admettre que la Terre n’était pas au centre du monde.
Certains me répondront : l’Eglise ! Et maintenant, la science a été dissociée de la religion, en tout cas, dans certains espaces géographiques ; certes ; mais faisons preuve d’humilité et soyons conscients que de nombreux mécanismes générateurs d’illusions menacent le raisonnement et la connaissance scientifique aujourd’hui encore.
La théorie des épicycles a tenu presque 1700 ans, mais son ancrage dans le paysage scientifique des civilisations successives n’en faisait pas une théorie exacte. La relativité d’Einstein est beaucoup plus récente. Combien de temps tiendra-t-elle ? Bien sûr, il ne faut pas sombrer dans le relativisme. La relativité d’Einstein ne sera jamais totalement infirmée, mais on se rendra compte que la réalité est un peu plus complexe, et on construira une nouvelle théorie plus précise et qui néanmoins ne sera elle-même qu’une approximation. Et ainsi de suite…
Ainsi, il faut être très prudent avant de dire : la vérité scientifique c’est cela. Si on le dit, il faut un peu circonscrire ou préciser le champ de l’affirmation. Oui, je peux écrire que la science dit que la Terre est ronde, mais en définissant la notion de planète ronde comme une planète ayant, à 30 km près, la forme d’une sphère (allez sur Wikipédia voir l’article sur le rayon de la Terre). Oui, je peux dire que la matière est constituée d’atomes eux-mêmes formés de noyaux et d’électrons gravitant autour, mais en ajoutant que ceci ne vaut que dans un intervalle de températures… (A des milliers de degrés, la matière se ionise, les électrons se barrent…) J’enfonce des portes ouvertes, mais c’est pour donner des réflexes qui seront utiles aux étapes ultérieures du raisonnement.
Un discours scientifique ne peut pas être pertinent sans précision, sans rigueur, et il n’y pas pas de rigueur possible quand on confond approximation (la science produite par les hommes d’une époque donnée) et vérité absolue (les lois de l’univers, que nous découvrons peu à peu, mais que nous ne connaîtrons probablement jamais dans leur intégralité).
3 – Il faut tirer les conséquences de cette analyse des limites de la connaissance scientifique dans le débat sur les limites de la conquête spatiale
Certains « forumeurs » se diront peut-être : mais qu’est-ce que c’est que cette digression, que cette verrue qui vient se greffer sur le débat concernant les limites de la conquête spatiale ? Hors sujet ! Et bien non, on est au contraire, à mon humble avis, au cœur du sujet.
On ne peut échanger efficacement des arguments que si l’on est d’accord sur le registre sur lequel on se place et si l’on partage un cadre de raisonnement.
Je suis personnellement d’avis que le sujet des limites de la conquête spatiale ne relève qu’à 40% des sciences dures, il relève à 60% des sciences humaines. Et les interventions des uns et des autres dans ce fil l’ont clairement montré.
Oublier les sciences dures dans ce débat ne peut conduire qu’à du mysticisme et à des stupidités. Mais oublier les sciences humaines peut également conduire à des raisonnements qui passent à côté du sujet et dont les conclusions sont faussées.
Plusieurs forumeurs ont ici rappelé que si les lois de la physique sont une chose qui évidemment s’impose, il ne faut pas sous-estimer l’habileté des hommes et leur capacité à inventer quelque chose d’astucieux qui permet d’arriver par des voies différentes aux fins poursuivies. Par exemple : arrêtons de nous focaliser sur les très hautes vitesses difficilement accessibles, regardons s’il n’y a pas d’autres approches permettant d’améliorer les technologies biologiques, robotiques, écologiques afin d'organiser des voyages à des vitesses plus modestes sur des périodes très longues en maintenant les hommes en milieu confiné.
Par ailleurs, dans votre post qui répondait au premier que j’ai fait dans ce fil, vous avez écrit, Aldébaran : « En aucun cas, quels que soient les progrès futurs de la physique, ces lois ne sauraient être violées :
Loi de conservation de l'énergie,
(…) »
J’avoue ne pas être d’accord. D’abord, si l’on parle du principe de conservation de l’énergie, il me semble qu’il faut préciser les limites de la vérification de ce principe. On est fondé à dire que ce principe n’a jamais jusqu’à présent été mis en défaut dans les expériences physiques et les observations astronomiques, mais il faut alors expliquer que ces expériences concernaient certains domaines de température, de pression, certains types de phénomènes que l’on peut produire en laboratoire ; et que nos capacités d’observation astronomiques sont limitées ; et que ces résultats ne prouvent rien sur ce qu'il pourrait se passer avec des expériences ou des observations au-delà de ces limites. Car est-ce que le principe de conservation de l’énergie reste pertinent, par exemple, à l’intérieur d’un trou noir ? On n’en sait fichtrement rien. Et même sans aller jusqu’à des environnements aussi extrêmes, j’ai cru comprendre qu’il y a des doutes qui ont conduit à des expériences réalisables avec nos moyens actuels. Expériences qui n’ont pas mis en évidence d’exception, j’en conviens.
J’ai bien lu, Aldébaran, votre récent post qui reconnaît finalement : « Cela dit, j'avoue humblement être totalement incapable de me faire une idée sur ce que sera la physique dans un siècle ainsi que ses retombées technologiques ». Cela montre, Albébaran, que vous avez tenu compte des différents posts de ce fil, que vous êtes à l’écoute et que vous êtes d’une grande honnêteté intellectuelle.
Mais vous comprenez le malentendu : pour moi et pour certains autres forumeurs (pas tous), quand on parle des limites de la conquête spatiale, on doit forcément se projeter, au moins à un moment du raisonnement, notamment celui où l'on parle des voyages habités au-delà du système solaire, plusieurs siècles ou plusieurs millénaires en avant. Ce qui oblige à un exercice extrêmement difficile, qui est d’intégrer au propos la possibilité de futures connaissances scientifiques et de futures capacités technologiques, sans pouvoir les décrire.
La science-fiction évoque, par exemple, l’énergie du vide ou les trous de ver, notions qui, comme vous l’avez rappelé, ont un caractère évidemment très spéculatif et a priori peu sérieux. Ce qui n’interdit pas de construire une réflexion solide sur l’impact qu’auraient de telles technologies sur les sociétés humaines ! De la même manière que l’Inspection générale des affaires sociales et l’inspection générale des finances, si elles étaient en sureffectif (ce qui n’est pas du tout le cas) pourraient parfaitement bâtir un rapport administratif et financier sérieux sur l’équilibre des régimes de retraite dans l’hypothèse d’une prolongation de l’espérance de vie jusqu’à 160 ans, alors même que rien dans l’actualité médicale ne laisse espérer que cette hypothèse ait des chances de se réaliser.
Peut-être que des phénomènes physiques radicalement nouveaux, et différents de ceux que je viens de citer, seront mis à jour, et que cela sera de nature à faciliter les voyages interstellaires. Une autre possibilité serait que les lois physiques n’autorisent finalement aucune technologie exotique permettant d’accélérer les voyages interstellaires. C’est pourquoi j’ai parlé dans mon précédent post de la nécessité d’assumer cette incertitude où nous sommes et néanmoins de continuer à penser d’une autre façon le sujet, ce qui implique forcément de s’appuyer sur des raisonnements d’ordre philosophique ou faisant appel aux sciences humaines.
Pardonnez-moi, Aldébaran, d’avoir probablement surinterprété votre propos, et de m’être livré à l’exercice trop facile d’une réfutation de votre position sur les sciences dures et molles sur des bases quelque peu caricaturées.
Je voudrais encore dire un mot : de même que Sartre disait, ou aurait dit, dans les années 1950 qu’« il ne faut pas désespérer Billancourt », de même il n’est pas forcément approprié de désespérer trop vite les membres du Forum de la conquête spatiale en leur disant, sans preuve certaine, que les voyages interstellaires sont impossibles.
Car il se trouve qu’en y réfléchissant bien, même pour notre époque, ce débat n’est pas un simple jeu de l’esprit, un simple débat académique.
La généralisation d’une vision trop irrémédiablement pessimiste concernant les missions interstellaires habitées pourrait avoir à moyen terme (une ou deux décennies) sur un point précis, des conséquences inattendues et d’une gravité inouïe. C’est un sujet nouveau, qui est apparu dans le débat public il y a moins de deux ans, et qui n’a pas été traité, me semble-t-il, sur ce forum où pourtant il a toute sa place. Je n’en parlerai pas ce soir et le moment venu j’ouvrirai un nouveau fil sur le forum pour ceux qu’éventuellement cela pourrait intéresser.
[Réduction de la taille de police. David L.]
Cordialement