Astro-notes a écrit: ...mon erreur c'est celle aussi de la NASA, de l'ESA, de Rocosmos, de la JAXA, de la Chine, etc.
Ça ne vous dérange même pas un peu ?
Ce n’est pas à mon avis une question d’erreur mais une question de perspective et d’échelle de temps. Les respectables organisations citées plus haut travaillent sur le très long terme pour ce qui est de leur existence (caricaturalement on peut dire que pour elles les salaires seront encore payés même si on doit interrompre les vols pendant deux ans ou plus pour une commission d’enquête après un échec) et sur le court terme pour ce qui est de leur ambition (ESA : pas d’ambition / JAXA : moyens limités / Rocosmos : pas d’argent donc seulement des PowerPoint et un tir Angara et le suivant quatre ans plus tard… / NASA : changement de programme à chaque nouvelle administration ou presque avec depuis 2000 d’abord Shuttle+ISS puis Constellation puis pour le moment SLS+Orion. Et demain ? / Chine : peut-être un peu plus d’espoir de coté-là mais des moyens quand même limités).
Je ne crois pas être excessif. Pour la NASA, SLS sera gros mais où est le progrès technologique là-dedans ? Moteurs de Saturn V, boosters de Shuttle et cabine « Apollo Style » pour retour en mer. Et le tout à un milliard de dollars le shoot ! Et pour quelle finalité ? Deux missions prévues à ce jour : un test autour de la Lune (C’est le test en vol, donc cela ne devrait même pas compter comme mission as such…) et un vol vers un astroïde proche de la Terre. Le SLS n’existe (encore ?) que par des soutiens au US Congress (Ceux des sénateurs où sont les usines aérospatiales…) et parce que, les USA étant les USA, une administration croirait se déshonorer s’il n’y avait pas un programme spatial national.
Pour l’Europe, il y a vingt ans, son main-programme c’était Ariane 5, il y a dix ans c’était encore Ariane 5, aujourd’hui c’est toujours Ariane 5 et dans dix ans ce sera Ariane 6, mais seulement par la grâce d’Elon Musk, car comme ce taré-là « casse les prix », il a bien fallu faire quelque chose. Pour le reste on bricole à la petite semaine. Quand on a une centaine de kilos de rab sur une mission, on ajoute Schiaparelli sur le dos de TGO espérant apprendre au passage un truc ou deux sur le poser en douceur sur Mars. Ça n’a pas marché cette fois, ces choses-là arrivent. On fera peut-être un « Schiaparelli 2 » en y modifiant les trois lignes de code qui ont crashé la mission et après ? Après ? On attendra tranquille la prochaine mission autour de Mars (2025 ? 2030 ?), mais attendre, ce n’est pas grave parce que Schiaparelli, c’était juste « pour le fun », aucune mission n’étant prévue pour utiliser effectivement une éventuelle maitrise européenne du poser en douceur sur Mars. Le plus probable est que « Schiaparelli 2 » volera finalement comme passager dans le trunk d’une des missions Red Dragon de SpaceX aux alentours de 2020 ou 2022… Et réussira son arrivée, posant cent kilos sur Mars au moment où SpaceX y déposera sept tonnes et demi...
Les grandes agences, c’est l’éternité devant soi mais sans vision structurante. La NASA des années 60 fut (la belle) exception. Ce n’est pas de ma part une critique « politique » des grandes structures étatiques et une apologie de l’entreprise individuelle et privée. Au contraire, je sais qu’elles peuvent être efficaces, mais il y faut une volonté maintenue. La DAM du CEA des années De Gaulle ou la NASA de Kennedy+Johnson en sont des exemples parmi d’autres.
SpaceX n’est pas de même nature, c’est pourquoi je dis plus haut que ce n’est pas une question d’« erreur » mais que, ne se posant pas les même défis, ce ne sont pas mêmes réponses/attitudes que l’on voit mises en œuvre.
SpaceX ne peut pas envisager d’interrompre ses lancements pendant deux ans. Ne peut pas, ne peut économiquement pas, tout simplement. Pas étonnant alors que le management de SpaceX « pousse » (dans les limites de la décence, mais en allant jusque qu’à l’extrême bord de cette limite) pour une reprise des tirs le plus vite possible. Ce n’est pas qu’ils méprisent la science et la vérité, mais pour eux savoir le pourquoi de l’explosion (même si le comment n’est pas encore compris à fond) est suffisant et est à mettre en balance avec la vie économique de la structure SpaceX. Je rappelle que lors de l’échec inaugural d’Ariane 5, les gouvernements européens avaient accepter de « remettre au pot » le temps d’y voir plus clair. C’est un luxe que SpaceX n’a pas. Donc ils relancent la machine interne de SpaceX (essais d’étages et etc…) avant l’(éventuel) feu vert et pas après l’avoir obtenu. Chaque semaine compte ; Just normal.
Certains (j’ai tous les noms…) font remarquer avec une pointe d’ironie (mais pas méchante…) l’absence de communication de SpaceX sur les mesures correctives qui seront mises en œuvre sur la Falcon 9 et son environnement pour éviter le renouvellement du fort couteux feu d’artifice du 1
er septembre. Du point de vue science et technologie, c’est regrettable. Certainement. Mais le secret industriel n’a pas été inventé pour les chiens, surtout que l’on est là dans un domaine (structure carbone + LOX ultra-froid + transitoires) où jamais personne ne s’était aventuré jusqu’à présent. Ceux qui doivent savoir sauront : FAA, Air Force, NASA. Les autres achèteront les brevets, ou bien se feront le jour venu et à leurs frais leur propre avis sur la question…
La stagnation est désespérante (le Ariane 5 ou le Atlas 5 for ever). En sortir, Monsieur de Lapalisse le confirmerait de bonne grâce, suppose d’accélérer. C’est assez évident mais cela va mieux en le disant. SpaceX a lancé sa première fusée en 2007 seulement, son premier satellite en GTO en 2013 (trois années seulement, j’ai moi-même du mal à le croire). Parcourir ce chemin-là en moins neuf années, nécessite de pousser et de pousser fort. J’ai parfois l’impression que certains, certes regrettent cette stagnation que tout le monde ici constate de l’industrie aérospatiale (les « grosses agences »), mais ne veulent pas consentir aux moyens d’en sortir, le premier d’entre eux étant d’aller vite, plus vite.
Ailleurs, on fait reproche à Elon Musk de son ambition excessive, de vouloir envoyer cent personnes sur Mars d’une seule fois, plutôt qu’une approche plus progressive : missions d’exploration d’une dizaine de personnes, vaisseaux plus petits donc moins couteux, assemblage en orbite terrestre etc… Mais la discorde vient de ce qu’on n’a toujours pas la même perspective. D’un côté ceux qui veulent voir un homme marcher sur Mars, comme Armstrong le fit sur la Lune, et ceux (celui, mais je suis avec lui sur ce coup-là) qui veulent créer technologiquement un accès à l’espace pour l’espèce humaine.
Aller dans l’espace reste aujourd’hui, cinquante-cinq ans après Gagarine, un acte encore super-exceptionnel, physiquement dur et extrêmement couteux. L’image qui me vient à l’esprit, c’est l’aviation des années 1920 et puis un jour arriva le DC3, puis le 707 et enfin Airbus. Ici c’est pareil. Ce que Elon Musk a proposé fin septembre, ce n’est pas l’exploit de faire marcher un homme (si c’est une femme, c’est cool aussi…) sur Mars, c’est un système technologique qui permettra un accès plus aisé, bien moins cher à l’espace interplanétaire.
Marcher sur Mars n’en sera alors qu’une conséquence, rien de plus. D’accord la presse a fait ses gros titres là-dessus, mais ce n’est pas là l’exploit. L’exploit, c’est le moteur Raptor (Musk a dit que le problème technologique le plus pointu de tout le programme est l’alliage métallique de la turbopompe du Raptor et sa tenue en oxydation dans un milieu d’oxygène pur pendant des mois et des années), la récupération du booster avec à la fois régularité et une précision métrique et le planeur hypersonique (De la taille d’un A380… Respect !) capable d’aborder les atmosphères planétaires de Mars et la Terre à quelque 10 km/s et plus. Une fois que vous avez ces outils-là, vous avez le DC3 !
Rejoindre un astroïde proche de la Terre et en embarquer dix tonnes (ou cinquante d’ailleurs…) dans la soute-cargo et les ramener, non pas en orbite terrestre, mais carrément au sol sur Terre, devient facile, quotidien même si vous le voulez. Et pour quel prix ? Douze mille tonnes de méthane et d’oxygène liquide plus surement quelques millions de dollars de plus pour le « coup de chiffon sur le pare-brise » du booster et de sa navette ITS. As simple as that ! Je vais vous faire rire, mais certains ambitionneraient de capturer quelques kilogrammes du même astroïde pour un milliard de dollars (ou plus) via SLS+Orion, ceux-là n’ont pas la tête sur les épaules, je vous le dis… De même facile pour SpaceX pour utiliser la navette ITS pour seulement monter de LEO vers le GTO et y placer/réparer/redescendre tous les satellites géostationnaires que l’on voudra.
Une fois cet accès à l’espace interplanétaire acquis, aller sur Mars parait un objectif naturel. Il faut bien remarquer que marcher sur Mars aurait été possible dès les années 80 en utilisant la technologie d’Apollo+Saturn (cf le projet Von Braun pour 1985). On posait le pied dans la poussière rouge, on plantait un drapeau, clic-clac pour Kodak, cinquante kilos de pierrailles ramenées et… Rien. Rien, comme pour la Lune. Rien, parce que trop cher, trop exceptionnel. Comme pour la Lune, l’homme (l’espèce humaine s’entend) y serait certes allé, mais il n’y aurait pas été « chez lui », chaque voyage était un exploit technique et financier, unique.
J’ai évoqué plus haut la NASA de la « grande époque ». Je voudrais enfin [Eh bien, c’est pas trop tôt, coco ! Parce que ton post est vraiment trop long ! Surtout pour coup d’essai sur ce forum…] montrer une similitude entre cette NASA et SpaceX. Une fois la Lune foulée au pied, la question du « Que faire, maintenant ? » s’est posée. Et alors qu’il aurait été si simple de continuer sur la lancée avec la technologie d’Apollo (D’autres missions lunaires, Mars au moins une fois, station spatiale « Skylab style » c’est-à-dire « Klenex » après quelques occupations) et etc, ce que la NASA a proposé, c’est une navette spatiale, une navette envisagée comme une passerelle entre le sol et l’orbite terrestre, avec des vols hebdomadaires, voire même quotidiens. Rappelez-vous dans « 2001 » le clipper de la PanAm rejoignant l’immense roue de la station spatiale internationale et se glissant dans son sas d’arrivée… Ce que la NASA a proposé, c’est le DC3. Comme SpaceX aujourd’hui. Parce que la NASA de cette époque avait été habituée à travailler avec un pouvoir politique qui voulait beaucoup et qui était constant dans ses choix.
Mais le président Nixon avait une guerre en Asie sur les bras et il pensait pouvoir gagner les élections en plaçant des micro-espions ici et là. Alors on a tout arrêté (les trois dernières Saturn V construites ne furent même pas tirées, pas de station spatiale au-delà de quelques semaines dans Skylab, etc…). La NASA s’est accrochée quand même à sa navette (Qui sait si l’administration suivante n’allait pas être plus favorable ?), mais on a dû la faire à l’économie (bosters latéraux à poudre, plutôt que boosters à liquides, moins dangereux et plus facilement récupérables, voire même un combi navette+reservoir externe lancée depuis le dos d’un premier étage ailé et à retour horizontal).
Edison (Thomas) a dit qu’«
on n'a pas inventé l’ampoule électrique en améliorant la bougie ». La facilité, c’est l’amélioration des détails. C’est faire Vulcan après Atlas 5. Mais c’est la stagnation, la moindre dépense maintenant, la non-prise de risque, toutes attitudes très compréhensibles, naturelles même, quand un mandat politique dure cinq ans. Le mandat d’Elon Musk durera aussi longtemps que sa société sera économiquement en vie ; il peut ainsi vouloir et vouloir longtemps la même chose. Sa perspective est différente, il fait donc des choix différents de ceux des « grosses agences » ; personne n’a tort puisqu’ils ne répondent pas à la même question.
Je rêve que les états d’Europe garantissent un budget constant sur vingt ans à l’ESA (Quand même en nette hausse si possible car, pour l’ESA, il y a - je pense - un problème de quantité d’argent et un problème de constance politique) et je suis sûr que l’on serait émerveillé du résultat.
Certains parmi les plus lucides sur ce forum auront soupçonné que je regarde les efforts de SpaceX avec assez de sympathie. Pour les autres, je peux en effet confirmer que c’est bien le cas. J’ai le sourire parce que la plupart de critiques faites sur ce que se propose de réaliser SpaceX portent plus sur la capacité financière de la compagnie ou sur le délai de réalisation (Quelle importance si le truc vole en 2024 ou 26 au lieu de 2022 ?) que sur les aspects techniques du projet. Créer une rupture, comme par exemple la vaccination, l’ampoule électrique, ou internet furent des ruptures en leur temps, semble donc technologiquement possible. Une des conséquences de cette rupture sera non pas d’aller poser un pied sur Mars, mais de pouvoir coloniser humainement Mars, ce qui est bien plus énorme encore. Mais Mars n’est une conséquence de cette rupture, et je ne suis pas sûr que ce sera la plus importante…
Croisons les doigts !
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Correction d'un exposant en HTML.
Sinon essayez d'éviter les grosses tartines difficiles à lire sur un forum en les fragmentant en plusieurs posts si le post aborde plusieurs thèmes différents, ou sinon essayez de faire des paragraphes pour améliorer la lisibilité.
Henri
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