montmein69 a écrit:Je ne sais pas si je comprends bien l'argumentation :
PierredeSedna a écrit:en contrepartie de ce risque accru de reports pour cause de météo, SpaceX a-t-il légèrement réduit ses prix ? Ou de manière astucieuse lié cet aléa de calendrier sur le premier vol à une promesse de rabais sur un éventuel 2ème vol notamment si le client lui-même réutilise l’étage ?
Car si le premier vol est réalisé avec un léger décalage .... le cliient aura obtenu la réalisation du contrat de lancement, avec un aléa de météo.Et pour ce qui est d'envisager que le client veuille un second lancement avec rabais en utilisant le même premier étage (je lis bien "notamment si le client lui-même réutilise l’étage") , cela parait plutôt hasardeux question calendrier ..... il faut qu'il ait une autre CU à lancer .....ce qui peut se compter en mois, si ce n'est plus.
Je vais essayer d'être plus clair et d'abord de mettre en perspective l'idée, ce qui permettra de mieux en débattre et de voir si concrètement elle a du sens ou pas.
D'abord, les sites de lancement des Etats-Unis, à la différence notamment de Baïkonour au Kazakhstan, ont tendance à avoir une météo capricieuse, ce qui conduit pour beaucoup de lancements à des reports.
Certes, comme le dit un proverbe banal, "après la pluie, le beau temps". Il est rare que le vent souffle fort et que le déluge tombe pendant des semaines et des semaines. Et si la fusée part deux, trois ou quatre jours plus tard, où est le problème pour le client ? C'est un peu, montmein69, ce que tu semblais dire, si je t'ai bien compris.
Mais par expérience, nous savons qu'un report peut en fait être assez préjudiciable au client, dans un certain nombre de situations :
- un report qui, sur le plan strictement météorologique devrait être de faible durée, peut en pratique devenir long, en raison de problèmes de fenêtres de tir et d'organisation collective des activités spatiales ; souvenons-nous de Tess, il y a une dizaine de jours ; la fenêtre de tir était de trente secondes par jour et passé une certaine date, il aurait fallu attendre 45 jours pour pouvoir faire une nouvelle tentative ! Cela, tout à la fois, pour des raisons astronomiques et compte tenu de la mobilisation de la NASA pour le lancement d'InSight ; heureusement, cette situation ne s'est pas présentée ; et souvenons-nous des lancements CRS vers l'ISS, avec des fenêtres de tir d'une seconde par jour, et avec toutes les impossibilités qui peuvent résulter du calendrier des lancements des Progress et Soyouz... ; souvenons-nous des lancements de SpaceX reportés pour des raisons météorologiques et qui devaient encore être différés à cause des lancements d'ULA, parce que les pompiers ne pouvaient pas sécuriser le même jour les deux zones de tir ; et ne parlons pas des fenêtres de tir vers Mars, qui durent une vingtaine de jours, mais qui ne se reproduisent que tous les 26 mois ! il suffirait d'avoir des problèmes techniques à certains moments, des passages de navires dans les zones interdites à d'autres moments, et une météo défavorable à la fin pour que les vingt jours s'écoulent et que ces 26 mois soient perdus, ce qui serait désolant ;
- un report peut aussi, malgré sa faible durée, être une cause de perte d’argent pour le client, ou d’une dégradation de son image, ou d’un risque pour la sécurité internationale ; la date de lancement peut être associée à un enjeu de continuité de services pour un opérateur commercial (télécommunications, observation de la Terre et donc suivi des feux de forêt, des inondations, de l'état des récoltes...) ou pour les militaires ; si l'opérateur commercial est coté en bourse, en particulier, les reports de lancement n'ont-ils pas parfois pour effet de faire baisser les cours des actions ? Et en matière militaire, un report de lancement en situation de crise internationale ne peut-il pas affecter défavorablement un rapport de forces et mettre en danger un pays ?
- enfin, l’addition des reports de lancement ayant ou non une cause météorologique peut éventuellement épuiser et déconcentrer les équipes, et porter atteinte au bon fonctionnement des systèmes ; le lancement de Zuma a été marqué par de nombreux reports, la plupart ayant une cause technique, mais les derniers à la fin, des causes météorologiques ; et ça s'est plutôt mal terminé, même si SpaceX n'a pas vu sa responsabilité engagée et si, j'en conviens, rien ne prouve qu'il y ait un lien entre les reports et l'échec de la charge utile ; la funeste mission STS 107 qui aboutit à la destruction de Columbia avait été décalée à de nombreuses reprises, pour des raisons qui n'étaient certes pas à ma connaissance météorologiques ; quoi qu’il en soit, j'ai l'impression que (toutes choses égales par ailleurs) plus un vol donne lieu à des reports, et plus il devient risqué, la météorologie contribuant à cette perte de chances ; une analyse de corrélation statistique entre les reports et les défaillances en vol (David L a-t-il cela sur étagère ?) serait donc intéressante.
En résumé, si vous me permettez une métaphore un peu osée, un lancement de fusée est comparable à un rendez-vous galant : si on laisse passer une occasion prometteuse, on n'est pas certain que les fois suivantes l'ambiance sera aussi bonne et les conditions aussi propices. Alors dans l'idéal, évitons les reports, faisons décoller la fusée ici et maintenant !
Donc, pour en rester à nos fusées, si on multiplie par deux les aléas météorologiques, en ajoutant à ceux qui sont liés au lancement ceux qui sont liés à l'atterrissage 1000 km plus loin, au milieu de l'océan, on va à l'encontre de cette "loi" de l'activité spatiale, on nuit au client de manière potentielle ou de manière réelle. C'est pourquoi le client est fondé à demander un rabais lorsque la société qui lance le satellite lui expose que la récupération du lanceur est un impératif absolu qui peut conduire à différer le lancement.
Deuxième idée que j'ai greffée sur la première : comme SpaceX, malgré la légitimité de la demande de rabais du client, n'a aucune envie de baisser ses prix, sauf à ce que cette baisse soit directement corrélée à une augmentation des quantités, j'ai imaginé que de manière pédagogique, SpaceX dise à son client : la réutilisation en soi ne fait pas diminuer mes coûts, mais elle me permet de faire plus de lancements, qui eux me permettront des économies ; encore faut-il que chaque client n'attende pas que ce soient les autres clients qui multiplient les commandes de lancements ; donc, je vous propose un deal consistant à ce que nous partagions entre nous les avantages de la réutilisation ET de l'augmentation du nombre de lancements ; le rabais qui matérialise ce partage des avantages, vous ne l'aurez donc qu'à partir de la 2ème, de la 3ème commande. Sinon, pour un lancement unique, on en reste aux prix de l'époque des lanceurs consommables, et tant pis pour vous si je vous fais subir plus de reports de lancements...
La pédagogie peut être encore renforcée par SpaceX si elle dédie un étage à un client et si elle crée ce faisant un intérêt partagé de la société de lancement et du client à ce que l'étage revienne en bon état sur la Terre, même si cela a pour contrepartie que les lancements soient parfois un peu différés pour cause de météo défavorables dans l'océan autour de la barge...
Ce mécanisme, SpaceX aurait pu le proposer à Iridium, et elle pourrait encore le faire pour SES, clients qui ont passé ou passent régulièrement beaucoup de commandes de lancements. J'admets que c'est beaucoup plus difficile de tenir ce discours au Bangladesh, qui n'en est qu'à son premier satellite !
Rien d'original dans toutes les astuces destinées à pousser le client, dans une économie de marché, à consommer davantage. Elles correspondent à ce que chacun de nous se voit proposer par les grandes surfaces : si vous consommez plus de 100 € avant le jeudi de l'Ascension, vous recevrez un bon d'achat de 10 €... Mais si vous consommez moins, vous ne recevrez rien.
Cela rappelle aussi un slogan publicitaire des années 60 : "qu'est-ce qui est meilleur qu'un biscuit choco BN ? Deux biscuits choco BN". Donc, si vous achetez deux boîtes de Choco BN tout de suite, vous payerez moins que si vous espacez vos achats dans le temps. Certains des enfants qui consommaient des choco BN dans les années soixante sont devenus constructeurs de satellites un demi-siècle plus tard, et maintenant on leur propose d'acheter des services de lancement par des fusées.
Seulement, voilà : on peut, quand on est enfant, avoir un estomac extensible, mais quand on est constructeur de satellites, on n'a pas forcément un marché extensible du côté de ses propres clients. Donc j'en conviens, la politique d'incitation à la consommation de services de lancement de SpaceX n'est pas très efficace. SpaceX en est conscient, puisqu'il fait Starlink, c'est-à-dire de l'intégration verticale. Faute de clients en nombre suffisant, SpaceX va être son propre client. Cette démarche est un but en soi et en même temps un moyen de démontrer que l'on peut fabriquer et exploiter des satellites low cost, des satellites d'autant plus nombreux qu'ils sont moins coûteux ! SpaceX montre ainsi l'exemple à ses clients, en espérant à terme bénéficier d'un surcroît de commandes - mais en sachant que la diffusion de ce changement de modèle économique dans l'industrie satellitaire prendra du temps.
Le New Space a deux jambes : les fusées low cost, en général récupérables, et les satellites low cost, qui restent à inventer. Je suis convaincu que SpaceX réussira la révolution technico-économique des satellites comme elle a réussi celle des fusées. Les deux vont de pair. Si par malheur la seconde révolution n'avait pas lieu, SpaceX serait contrainte à avancer à cloche-pied et le BFR, sans être condamné, risquerait de se faire un peu attendre. Mais cela fait vingt ans que Musk a réfléchi à son plan, il a toujours montré jusqu'à présent qu'il sait ce qu'il fait.
La marche de SpaceX est longue et comporte de nombreuses étapes. En permanence, SpaceX relève des défis. Le lancement de Bangabandhu-1 par la 1ère Falcon 9 block 5 dans une dizaine de jours est l'une de ces étapes déterminantes, que j'ai essayé ici de replacer dans une partie de son contexte.