Vadrouille Jeu 3 Jan 2019 - 23:44
Je relisais divers articles sur ce Lunar Lander de Lockheed Martin et les questions de la réutilisation d'un vaisseau lunaire reliant un éventuel LOP-Gateway et le sol lunaire me laissent perplexe :
Qui dit réutilisabilité dit vaisseau monobloc. Ce qui veut dire que TOUT le vaisseau participe à la remontée, et pas juste un étage de remontée allégé au maximum. Cela augmente énormément la masse d'ergols nécessaire à la remontée, et derrière cela la masse d'ergols nécessaires à la descente.
Dans le cas d'une future station en orbite autour de la Lune, celle-ci ne sera probablement pas en orbite basse mais sur une orbite "haute", dite de NHRO, un type d'orbite de Lissajous garantissant une stabilité à long-terme. La Lune étant bien moins massique que la Terre, il semblerait que maintenir une station de la masse du LOP-Gateway poserait problème à long-terme. Donc le vaisseau devrait emporter une quantité significative d'ergols par rapport à si celui-ci desservait simplement un Orion en orbite basse.
Pour donner des ordres de grandeurs, je suis allé recherché les masses du LM d'Apollo. Comme les données que j'ai sont celles d'époque en livres (lbs), je m'en excuse, je vais utiliser celles-ci mais l'important n'est pas là, c'est surtout de voir le rapport masse à sec/masse totale et les indices de structure.
Un LM version Apollo 15/16/17 fait 10850 lbs à vide. Il emporte environ 19560 lbs d'ergols pour la descente et 5240 lbs d'ergols pour la remontée. Les ergols représentaient donc 69,5% de la masse totale (Son indice de structure est de 30,5%, évidemment c'est incomparable avec les lanceurs terrestres). Supposons qu'au lieu de faire un LM en deux parties on veuille en faire un monobloc, avec donc toute la masse sèche à remonter.
Le module de remontée fait 4740 lbs, et emporte 5240 lbs d'ergols environ, soit 111% de sa masse sèche (indice de structure de 52,5%). On peut donc raisonnablement approximer que faire décoller un LM monobloc nécessiterait un peu plus du double de sa masse sèche. Donc par exemple, pour le LM d'Apollo, 10850*1,11=12044 lbs d'ergols.
Mais ce n'est pas tout, car cette quantité d'ergols supplémentaire doit arriver sur la Lune. Pour la descente les 19560 lbs d'ergols ont servit à amener 10850+5240 = 16090 lbs à la surface. Donc en gardant le même rapport de 121,5% pour un LM monobloc :
Masse du LM monobloc : 10850 +12044 lbs = 22894 lbs "amenés" sur la Lune, donc il faudrait initialement 22894*1,215= 27816 lbs d'ergols juste pour la descente.
Bilan : la masse totale initiale du LM monobloc est donc de 22894 + 27816 = 50710 lbs.
Alors qu'en réalité avec un étage de remontée la masse du LM était autour de 35 650 lbs, ce qui fait que dans une configuration monobloc on est 42% plus lourd à charge utile égale.
Alors certes, il y a des approximations dans ce calcul, qui ne tient pas en compte des appareils laissés sur la Lune, et qui considère la masse à vide d'un LM monobloc identique à celui du réel alors qu'il y aurait nécessairement des différences entre les deux, mais quand même, l'idée et là.
Passons au concept-craft de Lockheed Martin (et en même temps au système métrique) : il fait 25 tonnes, et est conçu pour abriter 4 astronautes durant 15 jours sur la Lune, quand le LM d'Apollo n'en hébergeait que 2 pour au maximum 3 jours (à vide il faisait 4,9 tonnes).
Pour un LM monobloc, on vient de calculer qu'il faudrait multiplier la masse sèche environ par 5 (10850 => 50710) pour obtenir la masse initiale. Donc 25 tonnes => 125 tonnes !
Et ce n'est pas fini : là vous avez un module lunaire qui va et revient depuis l'orbite basse. Pas depuis le LOP-Gateway ! Je ne connais pas la masse supplémentaire d'ergols, mais c'est loin d'être négligeable.
Donc pour que ce beau concept de Lockheed Martin opère normalement, il faut à chaque rotation, le ravitailler d'au moins 100 tonnes d'ergols. Facile à amener jusqu'à l'orbite lunaire !
On peut toujours discuter sur le carburant (Apollo utilisait des ergols hypergoliques... comme Crew Dragon !), on pourrait utiliser un moteur cryogénique avec un meilleure impulsion spécifique mais l'hydrogène étant moins dense, il faudrait des réservoirs plus gros et donc plus lourd, le gain n'est pas énorme.
Conclusion : la réutilisation c'est quand même mieux lorsque l'on fait le ravitaillement depuis le sol plutôt que depuis le haut. Et c'est valable pour tout les vaisseaux.
Pour un vaisseau non réutilisable sécable on peut tabler sur une masse totale égale à 3,5 fois la masse sèche du vaisseau. (Indice de structure : autour de 28-30%)
Pour un vaisseau (réutilisable ou non) monobloc on peut tabler sur une masse totale égale à 5 fois la masse sèche. (Indice de structure : autour de 20%).
Ca devient vite une contrainte. Car en fin de compte la masse d'ergols à réacheminer à chaque fois est au moins égale, voire supérieure à la masse totale d'un nouveau module lunaire non réutilisable sécable.