Je lisais ce livre "La France, une puissance contrariée" (Bertrand Badie) et c'est une vision honnête, lucide et sobre de la France dans le monde. La citation ci-dessous semble pertinente à cette discussion. Un gros problème est qu'il y a une grande différence entre ce que la France veut de l'UE et ce que les autres membres veulent:
L’autre grand défi est le débat autour de l’Europe conçue et voulue comme multiplicateur de puissance, avec l’ambition d’assurer l’influence de la France dans le monde via son rôle dans l’UE. Or l’évolution de la CEE et de l’UE depuis 1958 a fait que la France qui se trouvait à son aise dans un Concert de six puissances où elle pouvait faire valoir ses intérêts, souvent grâce à l’appui de l’Allemagne, n’est plus qu’un membre parmi vingt-sept autres et a souvent du mal à faire prévaloir son point de vue et ses intérêts. C’est ainsi que, dans la confrontation à la Turquie en 2020, la France n’a pas trouvé un appui sans faille du côté de ses partenaires de l’UE.
Alors qu’elle prône une Europe de la défense, la mise sur pied de celle-ci est toujours repoussée à cause des divergences d’analyse sur l’avenir du lien transatlantique, son rang de puissance militaire à l’échelle internationale et ses priorités ; pour les autres pays, ce qui compte surtout, c’est la menace à l’Est, la Russie. Malgré le souhait de la France d’inscrire sa politique africaine dans une approche multilatérale, ses tentatives visant à impliquer davantage l’UE, contre le terrorisme et la déstabilisation de l’Afrique face aux nouvelles priorités américaines, tout à leur pivot asiatique, ont peu d’effets.
Une ambition diplomatique universelle, des moyens limités
Un autre facteur du sentiment du déclin est l’évolution des puissances émergentes : d’où la priorité donnée au multilatéralisme et à la diplomatie d’influence. Cependant, dans ce domaine, la France expérimente une contradiction très forte entre une ambition diplomatique universelle et des moyens financiers et humains limités. Cela lui vaut une perception « incertaine » dans les autres pays. Certes, l’image de la France vue de l’étranger n’est pas toujours exacte, mais elle est révélatrice. Il faut y prêter attention, ne serait-ce que pour ne pas commettre d’erreurs dans une démarche ou une négociation.
La France vue des pays extra-européens est un pays européen parmi d’autres, et plutôt moins performant que d’autres. Avec ses grèves, manifestations, et le mouvement des Gilets jaunes, elle semble en crise permanente. La fiscalité y est jugée trop lourde, l’absence de flexibilité des emplois et la charge des prélèvements obligatoires sont montrés du doigt. L’écho rare et faible des événements français relatés, par exemple dans la presse américaine, est un bon indicateur : vue du Middle West, la France existe-t-elle ?
À part cela, les critiques faites à la France concernent sa prétention à être une puissance et à se considérer comme le centre du monde : son arrogance, sa suffisance et son absence d’ouverture d’esprit à l’égard de l’étranger sont souvent dénoncées, pas toujours à bon droit. L’expression de « grande nation » synthétise cette vision d’une France qui se hausse du col, souvent à tort – que l’on songe à la défaite de mai-juin 1940, vue comme un cataclysme par les Américains et aux crises de la IVe République (Diên Biên Phu, Suez), ou aux extravagances de la Révolution et de l’Empire subies par les Allemands et les Italiens.
Dans ce cadre-là également, la tendance est plutôt au déclin : l’influence culturelle de la France, immense avant 1939, diminue depuis la Seconde Guerre mondiale. On pense à l’attirance de la France pour les Américains dans l’entre-deux-guerres, au rôle des artistes français. Lors de l’exposition universelle de 1867, les paysagistes d’outre-Atlantique ont exposé leurs toiles, optimistes, et subi ricanements et sarcasmes des critiques français. Ils ont relevé le défi. En 1933, Matisse, de retour des États-Unis, prophétisait : « Un jour, ils auront des peintres. » C’est bien ce qui s’est passé.
Au-delà de ces questions, dans le contexte d’une mondialisation freinée mais pas stoppée par la pandémie, d’une confrontation entre la Chine et les États-Unis, et d’une Europe qui cherche sa voie, la France est – comme après la crise de Suez en 1956 – à un carrefour. La comparaison avec l’Angleterre est intéressante. En 1956, les Britanniques ont choisi de renouer une relation spéciale forte avec les Américains ; la France a privilégié l’Europe. En 2021, le Royaume-Uni a décidé de se retirer de l’UE et d’affronter seul le grand large ; la France – puissance moyenne d’ambition mondiale – mise sur l’Europe et doit donc accepter l’insertion européenne comme un enrichissement