Il est tout à fait judicieux d'ouvrir ce fil, mais sous réserve de nouvelles informations, je ne suis pas sûr que son titre actuel, et plus précisément l'expression de "prototype orbital" qui apparaît dans la rédaction première de ce titre, soit adaptée.
Aucun pays, aucune entreprise, n'est jamais parvenu à bâtir un engin ne comportant qu'un seul étage capable de se mettre tout seul en orbite (SSTO).
La NASA et Lockheed Martin se sont cassé les dents au début du millénaire sur le X33 qui devait préfigurer le Venture Star. Cet échec est de mon point de vue historique, au sens où une autre astronautique, beaucoup plus flamboyante, aurait pu voir le jour depuis vingt ans si ce projet avait abouti. Pour différentes raisons, j'ai tendance à penser que cet échec était inéluctable : l'organisation économique et sociale du Old Space était incompatible avec cette percée technologique, tout comme les Grecs de l'Antiquité, malgré les prouesses d'Archimède, étaient incapables de mettre en œuvre la Révolution industrielle. Mais ce n'est pas le sujet ici.
SpaceX pourrait-il réaliser le premier SSTO ? Probablement, mais ce n'est pas le choix qu'ils ont fait. Parfois, on se demande si SpaceX, ou si Elon Musk, ne se dispersent pas, et la question n'appelle pas une réponse simple. Mais ils font attention à ne pas courir trop de lièvres à la fois. Ils ont su sacrifier des projets tels que Red Dragon quand ils se sont rendu compte qu'une victoire retentissante à court terme pouvait paradoxalement faire reculer l'horizon du succès pour leur projet le plus essentiel.
Si ce second prototype était vraiment orbital et SSTO, cela aurait en soi des conséquences considérables. Les militaires américains, par exemple, pourraient demander à SpaceX de développer très vite un SSTO un peu plus puissant que le prototype pour certains types de vols. Et comme cela rapporterait de l'argent, il y aurait des débats au sein de SpaceX pour savoir si on le fait ou pas. Or, se lancer sur cette voie mobiliserait des équipes, des ressources, et ne serait pas forcément couronné de succès. La mise au point du lanceur de gabarit martien en serait ralentie, voire compromise. Musk a dû méditer sur les mésaventures de Branson : ce n'est pas parce que le SpaceShipOne de Scaled Composites avait bien fonctionné en 2004 que la mise au point d'une version agrandie, le SpaceShipTwo, a été facile… 15 ans avant d'arriver à un premier résultat…
Donc je pense que Musk laissera à d'autres entreprises du New Space le soin de développer les premiers SSTO et restera concentré sur son projet de StarShip. Il ne tenterait de faire un SSTO que si les essais du SuperHeavy tournaient mal.
Par conséquent le titre de ce fil devrait être "1er prototype suborbital".
On va me dire : et le Starhopper, alors, n'est-il pas déjà suborbital ? Quand je saute à pieds joints du bord du trottoir pour aller sur la chaussée, j'effectue un vol suborbital si l'on prend ce mot de "suborbital" au sens large du dictionnaire. Mais ce sens large, de mon point de vue, n'est pas le bon pour un Forum spécialisé comme le FCS. Le Starhopper ne mérite pas de recevoir cette dénomination de véhicule suborbital, car pour le moment, il ne fait que de tout petits sauts de puce, et qu'au terme de sa période d'essais, je doute fort qu'il s'élève au-dessus de la zone où circulent les avions. Ici, il faut réserver le mot de suborbital aux véhicules qui franchissent ou se rapprochent vraiment de la ligne de Karman
On pourra m'objecter également que le prototype en construction est susceptible de faire une première série d'essais, qu'il pourrait réussir, et puis dans un second temps d'être monté sur le dos d'un prototype de SuperHeavy qui dans l'intervalle aurait réalisé ses propres essais. Dans ce cas, le prototype actuellement en construction aurait une seconde vie orbitale, sans qu'il soit nécessaire de mettre au point un SSTO.
Mais j'ai tendance à penser que cela ne sera pas le cas, car équiper ce prototype du dispositif de jonction et de séparation avec le Superheavy, et de tout le nécessaire pour le vol orbital, à commercer par le bouclier thermique définitif, le matériel de communication, le contrôle d'attitude, etc. ralentirait sérieusement la préparation des vols suborbitaux. Certes, cela pourrait être fait, pourquoi pas, dans un 2ème temps, mais ce serait alors un recyclage de carcasse pour une 2ème vie. On n'en est pas là.
Donc, pour le moment, on a sur une zone de Boca Chica le StarHopper, qui fait des sauts de puce, et dans une autre zone du même site des travaux de construction d'un prototype suborbital. Parler d'emblée de "prototype orbital" ne correspond pas au programme en cours et risque d'être déceptif. J'imagine dans quelques mois les commentaires narquois de certains qui diront : ah ah ah, ce prototype n'atteint toujours pas ses objectifs puisqu'il n'est pas capable de se satelliser. Or, si SpaceX avait annoncé une telle ambition orbitale, on pourrait lui reprocher de ne pas la réaliser, mais là, ce n'est pas la communication de SpaceX, c'est un simple titre de fil sur le FCS.
La vérité est que même dans les innovations disruptives, il y a des processus incrémentaux. Certains pensent peut-être que Musk est un Dieu de l'astronautique, mais comme l'écrivait Asimov "les Dieux eux-mêmes…". Arriver dans les cinq ans, après de nombreux prototypes, à un système de lancement SuperHeavy/Starship qui réalise des vols orbitaux dans l'environnement de la Terre puis de la Lune, cela ne serait déjà pas mal, non ?